Parce quâil nâa pas respectĂ© les injonctions prises lâan dernier par lâAutoritĂ© de la Concurrence quant Ă ses nĂ©gociations avec les Ă©diteurs de presse, le gĂ©ant de Mountain View vient dâĂ©coper dâune douloureuse de 500 millions dâamende, assortie dâune injonction de se plier aux ordres de lâAutoritĂ©, sous astreinte de 900 000 euros par jour de retard.
Lorsque Google avait, en 2019, dĂ©cidĂ© de se conformer Ă la loi française et au droit europĂ©en en cessant dâafficher extraits dâarticles, photos et vidĂ©o sur ces services Ă moins que les Ă©diteurs de presse ne lui en donnent lâautorisation Ă titre gracieux, ces derniers ont vu rouge. Dâautant que voilĂ des annĂ©es que le milieu de la presse et le gĂ©ant de Mountain View se livrent un bras de fer fĂ©roce sur la question des droits voisins, en France comme ailleurs dans le monde.
LâAutoritĂ© de la Concurrence avait Ă©tĂ© saisie par le Syndicat des Ă©diteurs de presse magazine, l'Alliance de Presse d'information GĂ©nĂ©rale et l'Agence France Presse Ă la fin de lâĂ©tĂ© 2020. ConsidĂ©rant les pratiques de Google « susceptibles de constituer un abus de position dominante » et « quâil portait une atteinte grave et immĂ©diate au secteur de la presse », lâAutoritĂ© avait en urgence imposĂ© Ă lâAmĂ©ricain une sĂ©rie dâinjonctions, confirmĂ©es en octobre 2020 par la Cour dâappel de Paris.
Lourde amende
Mais Google nâa pas respectĂ©, et ce de maniĂšre dĂ©libĂ©rĂ©e, quatre des sept injonctions, constate aujourdâhui lâAutoritĂ© de la Concurrence. « Le non-respect dâune injonction constitue en soi, une pratique dâune gravitĂ© exceptionnelle » Ă©crit lâAutoritĂ©, qui prononce une sanction lourde Ă lâencontre du gĂ©ant : 500 millions dâeuros dâamende, le tout assorti dâune astreinte de respecter les injonctions sous deux mois, Ă hauteur de 300 000 euros par jour de retard et par plaignant, soit la bagatelle de 900 000 euros le jour de retard.
LâAutoritĂ© explique sâĂȘtre « appuyĂ©e [âŠ] sur une instruction contradictoire approfondie »pour parvenir Ă cette dĂ©cision. Sur lâinjonction 1, soit lâobligation de « nĂ©gocier de bonne foi dans les conditions fixĂ©es par l'article L. 218-4 du CPI et selon des critĂšres objectifs, transparents et non discriminatoires », elle a constatĂ© que Google a imposĂ© aux Ă©diteurs que les nĂ©gociations portent sur un partenariat global, Showcase, par lequel les Ă©diteurs se voient offrir de nouveaux services en Ă©change de lâabandon pur et simple de la compensation financiĂšre sous-tendue par les droits voisins.
Showcase must go on
RĂ©duisant les nĂ©gociations au seul programme Showcase et aux revenus issus de Google Search Ă lâexclusion de tous les autres services de Google, le gĂ©ant a mĂ©prisĂ© aussi bien la loi que les injonctions. De mĂȘme, en refusant de nĂ©gocier, et donc de rĂ©munĂ©rer les titres de presse ne disposant pas dâune certification Information Politique et GĂ©nĂ©rale, Mountain View a fait « une interprĂ©tation de mauvaise foi » du Code de la propriĂ©tĂ© intellectuelle. Pis encore, Google a exclu de la nĂ©gociation les agences de presse, lĂ encore pour des motifs fallacieux.
Lâinjonction 2 portait quant Ă elle sur lâinformation apportĂ©e aux Ă©diteurs quant à « une Ă©valuation transparente de la rĂ©munĂ©ration due ». Or Google a procĂ©dĂ© en excluant tout autre revenu gĂ©nĂ©rĂ© par des services autres que Google Search, en fournissant les informations tardivement et surtout insuffisantes Ă faire le lien entre lâusage des contenus par Google, les revenus quâil en tire et les propositions financiĂšres aux Ă©diteurs.
Une stratégie délibérée, élaborée et systématique
Lâinjonction 5 obligeait Google Ă la neutralitĂ© « sur les modalitĂ©s dâindexation, de classement et de prĂ©sentation des contenus protĂ©gĂ©s des Ă©diteurs et agences de presse ». Sauf que le gĂ©ant a liĂ© les nĂ©gociations Ă son programme de partenariat Showcase, conditionnant de facto la rĂ©munĂ©ration des Ă©diteurs Ă lâacceptation des conditions contractuelles de Showcase « et Ă renoncer Ă une nĂ©gociation portant spĂ©cifiquement sur les utilisations actuelles des contenus protĂ©gĂ©s, qui Ă©tait lâobjet des Injonctions ».
Enfin, lâinjonction 6 portait sur « lâobligation de neutralitĂ© des nĂ©gociations relatives aux droits voisins vis-Ă -vis de toute autre relation Ă©conomique quâentretiendrait Google avec les Ă©diteurs et agences de presse ». Si lâinjonction 1 est sans doute la plus importante, celle-ci devait empĂȘcher Google dâabuser de sa position dominante sur le marchĂ© de la recherche en ligne. Or les discussions Ă©taient unilatĂ©ralement liĂ©es Ă Showcase, qui « ne se limite pas Ă un nouveau format dâaffichage des contenus protĂ©gĂ©s, mais constitue un nouveau service, qui nâexistait pas lors de lâadoption des mesures conservatoires, et qui repose par ailleurs sur de nouvelles obligations mises Ă la charge des Ă©diteurs de presse ».
Avec quatre injonctions enfreintes sur sept, « le comportement de Google relĂšve dâune stratĂ©gie dĂ©libĂ©rĂ©e, Ă©laborĂ©e et systĂ©matique de non-respect de lâInjonction 1 et apparaĂźt comme la continuation de la stratĂ©gie dâopposition de Google, mise en place depuis plusieurs annĂ©es, pour sâopposer au principe mĂȘme des droits voisins ». Pour la PrĂ©sidente de lâAutoritĂ©, Isabelle de Silva, cette amende tient compte « de lâexceptionnelle gravitĂ© des manquements constatĂ©s et de ce que le comportement de Google a conduit Ă diffĂ©rer encore la bonne application de la loi sur les droits voisins, qui visait Ă une meilleure prise en compte de la valeur des contenus des Ă©diteurs et agences de presse repris sur les plateformes », et de promettre la vigilance de lâAutoritĂ© sur la bonne application de la dĂ©cision par Google.