Le Department of Justice ainsi que les procureurs de onze Etats américains ont attaqué hier en justice Google, lui reprochant d’abuser de sa position dominante sur les marchés des moteurs de recherche et de la publicité. Les enjeux de ce procès sont comparables à celui visant Microsoft à la fin des années 90 ou AT&T en 1978, certains acteurs dans le giron de Google, à l’instar de Mozilla, espèrent ne pas trinquer.
“Il y a deux décennies, Google est devenu le chouchou de la Silicon Valley en tant que start-up décousue avec une manière innovante de rechercher sur un Internet émergent. Ce Google est parti depuis longtemps. Le Google d'aujourd'hui est un gardien de monopole pour Internet et l'une des entreprises les plus riches de la planète”. C’est ainsi que débute la plainte déposée par le Department of Justice et neuf Etats américains à l’encontre du géant de Mountain View. Et de poursuivre : “pendant de nombreuses années, Google a utilisé des tactiques anticoncurrentielles pour maintenir et étendre ses monopoles sur les marchés des services de recherche générale, de la publicité de recherche et de la publicité textuelle de recherche générale - les pierres angulaires de son empire”.
Assaut sur l'empire
C’était annoncé, c’est désormais un réalité : les États-unis poursuivent Google, lui reprochant d’abuser de sa position dominante dans les marchés des moteurs de recherche et de la publicité en ligne. La plainte soutient que le géant a conclu une série d’accords d’exclusion dans le dessein de restreindre les moyens pour les internautes d’accéder à l’information en ligne, obtenant d’être le moteur de recherche par défaut sur “des milliards d’appareils mobiles et d’ordinateurs”, voire interdisant la préinstallation d’autres moteurs de recherche.
Sont spécifiquement visés ces derniers accords, notamment ceux signés avec Apple “qui exigent que Google soit le moteur de recherche général par défaut - et de facto exclusif - sur le célèbre navigateur Safari d'Apple et d'autres outils de recherche Apple”. Egalement dans le collimateur, les “bloating applications”, ces applications préinstallées impossibles à supprimer. En outre, le DoJ et les neuf procureurs reprochent à Google d’utiliser “généralement les bénéfices de monopole pour acheter un traitement préférentiel pour son moteur de recherche sur les appareils, les navigateurs Web et d'autres points d'accès de recherche, créant un cycle continu et auto-renforçant de monopolisation”.
Le procès du siècle
Ce faisant, Google porte atteinte au sain exercice de la concurrence, dans la recherche en ligne où ses pratiques portent préjudice, selon la plainte, aux consommateurs en restreignant leur choix et donc “la qualité de la recherche (y compris sur des dimensions telles que la confidentialité, la protection des données et l'utilisation des données des consommateurs)” et dans la publicité puisque, dominant le secteur, Mountain View est en mesure d’imposer ses prix pour une qualité de service aux annonceurs moindre.
Et le DoJ de citer dans son communiqué les cas antérieurs de Microsoft, AT&T ou Standard Oil, des procès retentissants où la justice américaine avait cassé des monopoles établis. L’administration américaine compte bien réitérer l’expérience en ce qui concerne Google. “Si nous laissons Google continuer ses pratiques anticoncurrentielles, nous perdrons la prochaine vague d'innovateurs et les Américains ne pourront peut-être jamais bénéficier du “prochain Google”. Le moment est venu de rétablir la concurrence dans cette industrie vitale” assène l’Attorney General, William Barr.
Google prêt à en découdre
Google prend acte de l’action en justice, mais n’entend pas se rendre sans combattre. Dans un post de blog, son principal juriste, Kent Walker, dénonce un procès “défaillant” (“flawed” dans le texte). “Les gens utilisent Google parce qu'ils le souhaitent, pas parce qu'ils y sont contraints ou parce qu'ils ne trouvent pas d'alternatives”. Et le SVP Global Affairs de Google de citer toutes les méthodes permettant d’installer un autre moteur de recherche sur divers supports.
“Ce procès ne ferait rien pour aider les consommateurs. Au contraire, cela favoriserait artificiellement des alternatives de recherche de moindre qualité, augmenterait les prix des téléphones et rendrait plus difficile pour les gens d'obtenir les services de recherche qu'ils souhaitent utiliser” continue-t-il. Kent Walker assure que toutes les entreprises signent des accords similaires, et paient pour promouvoir leurs services : Google n’est pas différent d’un autre (si ce n’est sa position dominante).
Il pourfend également la plainte en ce qu’elle “prétend que les Américains ne sont pas assez sophistiqués pour [changer de moteur de recherche]” et sur la manière dont elle appréhende comment “les Américains utilisent Internet”. Le SVP énumère à nouveau d’autres sites et moteurs de recherche, tels que Kayak, ExpediaAmazon, Open Table. “Nous comprenons que notre succès s'accompagne d'un examen minutieux, mais nous maintenons notre position [...] Nous sommes convaincus qu’un tribunal conclura que cette action ne concorde ni avec les faits ni avec la loi”.
Mozilla en sueurs
Il cite par ailleurs, pour la défense de Google, un cas très précis : Firefox. Celui-ci est financé “presque entièrement par les revenus des accords promotionnels” et lorsque Yahoo! a payé pour devenir le moteur de recherche par défaut de Mozilla, “la plupart des Américains ont rapidement basculé leur moteur de recherche sur leur premier choix: Google”. En résumé, les Américains choisissent librement Google parce qu’il est meilleur que la concurrence.
Mais la mention de Mozilla, également invoqué à quatre reprises dans la plainte, donne des sueurs froides à la direction de la fondation. Qui se retrouve quasiment à défendre Google. “Les résultats ultimes d'un procès antitrust ne devraient pas causer de dommages collatéraux aux organisations mêmes - comme Mozilla - les mieux placées pour stimuler la concurrence et protéger les intérêts des consommateurs sur le Web” écrit Mozilla, soulignant son rôle dans la lutte contre la domination de Google, avant de déplorer que “les dommages involontaires causés aux plus petits innovateurs par des mesures d'application de la loi seront préjudiciables au système dans son ensemble, sans aucun avantage significatif pour les consommateurs - et ce n'est pas ainsi que quiconque réglera la Big Tech”.