Le salmigondis autour de la transformation digitale/numérique suivant les acteurs du marché ne cesse de s’accroître. Le dernier en date se pare de tous les atours du sérieux et du scientifique.
Voici donc que Accenture nous propose un « Indice de vulnérabilité à la disruption » (sic). Celui-ci est calculé sur 15 critères qui caractérisent ce « processus de transformation du marché ». Une étude auprès de 3 629 grandes entreprises dans 82 pays – dont la France, tient à nous rappeler le cabinet de conseil et d’intégration – lui a permis d’établir cet indice.
Ne faisons pas nos peines-à-jouir avec l’utilisation de la disruption, des disrupteurs qui ne sont pas du français vernaculaire, encore moins du français tout court ! Le Larousse ne voit qu’un synonyme pour la « disruption » : le claquage disruptif ! Qui semble plus adapté pour parler des soucis de footballeur ou de coureurs à pied que d’une entreprise. Il est vrai que acteurs de rupture, ou rupture du marché par de nouveaux entrants, ça sonne tout de suite moins bien ! Bref, après l’étude, le cabinet a sorti des résultats en classant les entreprises en 20 secteurs d’activité et en 98 sous-secteurs connaissant évidemment une rupture selon des phases plus ou moins graves de l’évolution de la maladie… Pour cela, je cite Accenture :
« Durabilité : la disruption numérique est évidente mais ne représente pas un risque existentiel. Les entreprises en place conservent des avantages structurels compétitifs et une bonne performance. Un cinquième (19 %) des entreprises, notamment dans le secteur des boissons alcoolisées et de l’industrie chimique, sont dans cette phase.
Vulnérabilité : le niveau actuel de disruption est modéré, mais les entreprises en place sont menacées par une disruption à venir en raison de défis structurels de productivité comme le coût élevé de la maind’œuvre. Un cinquième (19 %) des entreprises, dans les secteurs de l’assurance, de la santé et des produits de grande consommation notamment, se situent dans cette phase.
Volatilité : disruption violente et soudaine ; les forces traditionnelles sont devenues des faiblesses. Les entreprises dans cette phase (25 % des entreprises étudiées) sont celles des technologies grand public, de la banque, de la publicité et des transports.
Viabilité : la disruption est permanente. Les sources d’avantage concurrentiel sont souvent de courte durée, tandis que de nouveaux acteurs « disrupteurs » émergent en permanence. Plus d’un tiers (37 %) des entreprises, notamment les fournisseurs de logiciels et de plates-formes, les entreprises de télécommunications, de médias et de high-tech ainsi que les constructeurs automobiles, se trouvent dans cette phase. »
Réinventer plutôt que préserver
Tout comme notre bon Dr Knock, le cabinet propose aussi le remède adapté suivant l’état du malade et sa pathologie. Là encore les réponses méritent leur pesant de cacahuètes dorées sur tranche !
« Dans la phase de durabilité, les entreprises doivent réinventer leur activité traditionnelle au lieu de chercher à la préserver. Elles doivent prendre des mesures pour maintenir leur avantage compétitif en matière de coût dans leur cœur de métier et mieux adapter leur offre aux consommateurs, en termes de coût mais surtout de pertinence
Dans la phase de vulnérabilité, les entreprises doivent améliorer leur activité traditionnelle pour développer et exploiter de nouvelles innovations, aussi bien les leurs que celles du marché. Par exemple, elles doivent chercher à réduire leur dépendance à l’égard d’actifs immobilisés et monétiser les actifs sous-utilisés.
Dans la phase de volatilité, la seule façon de survivre est d’infléchir la trajectoire de manière décisive. Les entreprises en place doivent transformer radicalement leur cœur de métier tout en déployant de nouvelles activités. Cette mutation est délicate à conduire : en pivotant trop vite, les entreprises risquent d’endommager leur performance financière, et en tardant à le faire, elles risquent de devenir obsolètes.
Dans la phase de viabilité, les entreprises doivent adopter une attitude d’innovation constante. Cela implique d’augmenter le déploiement d’offres novatrices auprès des clients existants et de s’étendre dans des marchés connexes ou inexploré en exploitant la force d’un cœur de métier revigoré et renouvelé. »
Devenir un porteur sain
Le point final et la substance à tirer de tout cela : je vous les livre ici avec la conclusion, la flèche du Parthe par Pascal Delorme, directeur d’Accenture Digital en France et au Benelux : « Pour bien vivre la disruption et pas seulement y survivre, les entreprises doivent se transformer et développer leur cœur de métier tout en développant de nouvelles activités innovantes. Le numérique joue ici un rôle crucial. Nous avons constaté que plus la performance numérique d’un secteur est faible, plus il est potentiellement exposé à la disruption. Le digital peut aider les entreprises à être plus résilientes en exploitant les produits existants, en développant des services technologiques innovants, mais aussi en réduisant les coûts ou en augmentant les barrières à l’entrée. »
Voilà comment devenir un porteur sain et aller de l’avant par l’enfilage d’évidences développées par toute l’industrie depuis au moins deux ans sur le thème de la transformation numérique des entreprises.
Si les entreprises ne l’ont pas déjà fait, il est difficile de voir dans ce plan quelque chose d’original ou innovant pour aider les entreprises à relever ce défi. De plus, l’étude oublie un point fondamental de la transformation numérique et de l’adaptation des entreprises à ce nouveau contexte de rupture : l’agilité, la mobilité pour s’adapter en toutes circonstances aux contingences du marché. Pour cela, elles s’appuient déjà sur des éléments technologiques forts : le Cloud, l’analytique…
Au passage la plupart des exemples cités habituellement dans le contexte de la rupture dans un marché méritent d’être largement revus. Amazon ouvre des magasins, il n’est pas sûr que le destin d’Uber soit si brillant qu’il est annoncé, AirBn’B commence à étendre les partenariats sur sa plate-forme avec des petits hôtels et les chambres d’hôtes devenant un broker comme d’autres sur ce marché. Depuis Darwin nous savons déjà que ceux qui survivent ou dominent sont ceux qui s’adaptent le mieux à leur contexte. Les entreprises le savent aussi. Il n’est pas besoin de parer tout cela d’un vernis de sciences exactes pour faire croire à sa véracité. ❍
Article paru dans L'Informaticien n°166.