Au terme d’une partie de ping pong entre députés et sénateurs, ces derniers ont finalement adopté en lecture définitive les deux propositions de loi « contre la manipulation de l'information ». Qui vont devoir passer l’épreuve du Conseil Constitutionnel, saisi à la fois par Matignon et par le Palais du Luxembourg.
La loi fake news a fait le tour du Sénat et de l’Assemblée nationale à grands renforts de navettes et de commissions, sans que les deux chambres ne puissent se mettre d’accord. Les députés l’ont finalement emporté en séance le 21 novembre, la proposition de loi étant adoptée à 183 voix pour, 111 contre, et la proposition de loi organique à 347 voix pour, 204 voix contre. Mais ce n’est pas le bout du chemin pour notre duo de lois puisque le Conseil Constitutionnel a été doublement saisi, par le Premier ministre et par 60 sénateurs.
Le texte définitif de la loi n’a guère changé dans le fond. On retrouve la possibilité offerte au « ministère public, tout candidat, tout parti ou groupement politique ou toute personne ayant intérêt à agir » de saisir le juge des référés « lorsque des allégations ou imputations inexactes ou trompeuses d’un fait de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir sont diffusées de manière délibérée, artificielle ou automatisée et massive par le biais d’un service de communication au public en ligne ». Celui-ci aura alors 48h pour décider si oui ou non il ordonne de faire cesser la diffusion.
Schrameck tout-puissant
Les « plateformes » elles aussi sont mises à contribution. D’une part, réseaux sociaux, agrégateurs de contenus et autres moteurs de recherche vont devoir jouer de transparence, en mettant à la disposition du public les informations relatives aux publicités d’ordre politique, qui les finance, pour quel montant… De l’autre, elles seront dans l’obligation de contribuer à la « lutte contre la manipulation de l’information » en mettant notamment en place un « un dispositif facilement accessible et visible permettant à leurs utilisateurs de signaler de telles informations ».
Ils sont en outre enjoints à lutter activement contre les fake news par divers procédés, allant de la transparence sur leurs algorithmes à l’éducation du public aux média et à l’information. Les mesures et moyens mis en œuvre devront être là encore rendus publics, et seront contrôlés par nul autre que le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel.
Effet Streisand garanti
Depuis longtemps, le CSA veut pouvoir traiter d’Internet : cette loi « lui donne les pleins-pouvoirs en période électorale » déplore un opposant au texte. Il s’agit en effet de l’autorité compétente pour « s’assurer du suivi de l’obligation pour les opérateurs de plateforme en ligne de prendre les mesures » et leur adresser des recommandations. Dans le champ de ses compétences habituelles, le CSA pourra également ordonner l’interruption de la diffusion d’un service de communication audiovisuelle « contrôlé par un État étranger ou placé sous l’influence de cet État ».
Dire que ce texte ne fait pas l’unanimité est un doux euphémisme. L’opposition parlementaire était vent debout contre la loi, tout comme les syndicats de journalistes et les associations. « Je pense que c’est une loi inutile qui ne répond pas à un vrai besoin » souligne Ludovic Broyer, fondateur et dirigeant d'iProtego, spécialisé dans l’e-reputation et éditeur d’une solution contre le cyber harcèlement. Il pointe les diverses aberrations de la loi, entre limitation de la liberté d’expression et de la presse, menace pour le secret des sources ou encore quasi-impossibilité pour le juge de jouer le rôle de « maître de la vérité ». « Surtout, l’interdiction de diffusion d’une information risque d’avoir l’effet inverse de celui escompté, soit la diffusion encore plus large de cette information » ajoute-t-il.