Avant son entrée en bourse, Palantir veut se distinguer de la Silicon Valley

L’entreprise spécialisée dans l’analyse de données prépare son entrée en bourse. Son formulaire d’introduction a été publié par la Security Exchange Commission et révèle plusieurs points particulièrement intéressants quant à cette entreprise co-fondée par Peter Thiel, notamment sa volonté de prendre ses distances à l’égard des autres entreprises de la Silicon Valley. 

Palantir va entrer en bourse, ce n’est pas un secret pour les observateurs du secteur IT américain. Mais si l’entreprise de Peter Thiel a dans un premier temps gardé une grande discrétion quant à ses projets, le moment est venu de (presque) tout déballer puisque la SEC a publié le document d'inscription de cette dernière. A commencer par ce projet d’introduction qui ne suivra pas la voie classique d’une IPO mais empruntera celle d’une cotation directe, à l’instar de Spotify. 

L’entreprise compte deux types de parts, les Class A qui valent un vote et les Class B, pour 10 votes. 30% de ces dernières sont détenues par nul autre que Peter Thiel mais Palantir compte profiter de cette introduction par cotation directe pour créer une action dite Class F, dont le nombre de votes sera variable, des Class F qui seront détenues à près de 50% par les cofondateurs de la société, Peter Thiel, Stephen Cohen et Alex Karp, son actuel CEO (photo ci-dessus). Et ce afin que ces derniers continuent de contrôler les grandes manoeuvres de Palantir.  

Pertes sèches

Côté finances, l’entreprise financée par le renseignement américain tire profit de la crise et elle l’écrit elle-même : “au premier semestre 2020, période d'instabilité géopolitique et de contraction économique importantes, nous avons généré un chiffre d'affaires de 481,2 millions de dollars, reflétant un taux de croissance de 49% par rapport au premier semestre 2019”. Depuis sa création en 2008, l’entreprise a généré 3,4 milliards de dollars de revenus, dont 742,6 millions en 2019. Et pourtant, Palantir est largement déficitaire et n’a depuis 2008 jamais enregistré de bénéfices. En 2018 et 2019, ces pertes nettes s’élevaient respectivement à 580 et 579,6 millions de dollars. 

Parmi les raisons de ces pertes, le modèle économique de Palantir figure en bonne place. La société de Peter Thiel engage d’importantes dépenses aussi bien en R&D qu’en acquisition de clients. Et ces clients, au nombre de 125 au premier semestre, sont pour moitié des organismes gouvernementaux. Or Palantir ne sert que les États-unis et ses alliés, refusant “d’entrer en affaire avec des clients ou des gouvernements dont nous considérons les positions ou les actions incompatibles avec notre mission de soutenir la démocratie libérale occidentale et ses alliés stratégiques”.

Cela n’a pas été sans mal, puisque pour accéder au carnet de commandes du Pentagone, Palantir a dû poursuivre le gouvernement américain, emportant en 2016 puis en 2018 des victoires devant les cours de justice, de sorte à contraindre l’état-major américain à se pencher sur des produits du marché, en l'occurrence ceux de Palantir, plutôt que de se cantonner au développement de solutions sur-mesure.

Loin des yeux, loin du coeur, plus près des investisseurs

En termes de revenus, le secteur privé est passé devant les agences gouvernementales, représentant ainsi 53% des ventes de Palantir. Parmi ses clients, on trouve BP, Merck, Ferrari, le Crédit Suisse ou encore Airbus. A noter que deux clients de la société, un public, l’autre privé, représentaient à eux seuls plus de 20% des revenus de Palantir au premier semestre 2020. Palantir compte aujourd’hui continuer de s’étendre dans le secteur privé et devenir le “système d’exploitation de données par défaut du gouvernement américain”. 

Surtout l’entreprise cherche à tout prix à prendre ses distances à l’égard de la Silicon Valley et de ses géants. Ainsi son siège a été déplacé la semaine dernière de Palo Alto, en Californie, à Denver, au Colorado. Dans une lettre aux investisseurs, Alex Karp souligne que, bien que fondée dans la Silicon Valley, Palantir semble “partager de moins en moins les valeurs et les engagements du secteur technologique”. “Les projets logiciels avec les agences de défense et de renseignement de notre pays, dont la mission est de garantir notre sécurité, sont devenus controversés, tandis que les entreprises construites sur des revenus publicitaires sont monnaie courante” poursuit-il. “Pour de nombreuses sociétés Internet grand public, nos pensées et nos inclinations, nos comportements et nos habitudes de navigation sont le produit à vendre. Les slogans et le marketing de bon nombre des plus grandes entreprises technologiques de la Valley tentent d’obscurcir ce simple fait”. Palantir, chevalier blanc de la démocratie et du respect de la vie privée, qui l’eut crû ?