L’avis formulé par la cour de justice européenne concerne un opérateur hongrois, mais éclaire pour la première fois l’interprétation à donner au règlement européen de 2015 relatif à la neutralité du net. Les juges se sont prononcés sur la question du zero rating, qu’ils considèrent comme une gestion discriminatoire du trafic.
En 2015, le Parlement européen adoptait un règlement portant sur la neutralité du net. Le terme, certes, n’y figurait pas mais le texte était empreint de ce principe. Toutefois, les associations le considéraient trop timoré, puisqu’il autorisait côté FAI et opérateurs des pratiques susceptibles de distordre la concurrence et de circonvenir à cette notion de neutralité des réseaux. On citera notamment l’approche retenue par le Parlement concernant le zero rating, pratique consistant pour un telco à ne pas décompter les données d’un service, d’une application en particulier. Celle-ci n’était pas interdite, quoique réglementée.
Mais ça, c’était avant que le Berec, groupe réunissant l’Arcep et ses homologues européens, n’y mettent son grain de sel. Et c’est en interprétant sur ce point le règlement sous un autre angle que le Berec estimait que le zero rating pouvait être proscrit, puisque cette pratique peut réduire matériellement les choix de l’utilisateur final lorsque, dans le cas d’un dépassement de forfait, toutes les applications sont ralenties ou déconnectées à l’exception de celles sujettes au zero rating.
Et la CJUE ne s’y est pas trompé en se prononçant sur la question préjudicielle soumise par la justice hongroise. Telenor, un FAI hongrois, fournit parmi ses services deux “offres groupées d’accès préférentiel ayant pour particularité que le trafic de données généré par certains services et applications spécifiques n’est pas décompté dans la consommation du volume de données acheté par les clients” et qu’une fois le forfait data dépassé, peuvent encore être utilisés sans restriction. Le régulateur hongrois des télécoms, s’appuyant sur les lignes directrices du Berec, a mis l’opérateur en demeure de mettre fin à ces offres en ce qu’elles ne respectaient pas le règlement européen et relevaient du zero rating.
Pas de discrimination
L’opérateur a répliqué en contestant ces décisions devant un tribunal de Budapest, qui a botté en touche et interrogé la CJUE sur le sens à donner à l’article 3 du règlement de 2015. Les juges européens se sont donc penchés sur la question et ont hier rendu leur verdict. Qui n’est pas en faveur de Telenor. La cour estime en effet que le zero rating tel que pratiqué par l’opérateur est susceptible de limiter les droits des utilisateurs finaux parce qu’il “amplifie l’utilisation des applications et des services privilégiés et, corrélativement, à raréfier l’utilisation des autres applications et des autres services disponibles, compte tenu des mesures par lesquelles le fournisseur de services d’accès à Internet rend cette dernière utilisation techniquement plus difficile, voire impossible”.
D’autant que plus l’offre à de clients, plus l’incidence cumulée de ces accords risque de limiter l’exercice de ces droits. En outre, la CJUE considère qu’il n’est pas nécessaire pour le régulateur d’évaluer l’incidence de mesures de blocage ou de ralentissement de trafic, puisque l’article 3 du règlement ne le prévoit pas lorsqu’il s’agit d’apprécier “le respect de l’obligation générale de traitement égal et non discriminatoire du trafic”. Dans tous les cas, pour peu que le ralentissement ou non d’applications est fondé sur des considérations commerciales plutôt que sur des exigences techniques, l’application du zero rating est incompatible avec le règlement. Cette décision clarifie donc pour la première fois le texte de 2015 et si l’avis de la CJUE concerne une affaire hongroise, tous les régulateurs nationaux pourront s’en emparer pour faire valoir leur position sur le sujet.