Avec les mots télétravail et confinement, l’Intelligence artificielle et l’apprentissage machine (machine learning) sont certainement les sujets qui ont alimenté le plus les conversations cette année. Présentée comme une technologie de demain, l’IA est pourtant déjà omniprésente bien qu’elle ne soit pas pleinement exploitée.
Difficile de réfuter l’avis du Gartner qui affirme qu’en 2020 l’Intelligence artificielle est devenue présente dans tous les nouveaux logiciels ou services. Elle fait partie des premières priorités pour 30 % des directeurs informatiques selon un consensus d’études consultées. Toujours selon le Gartner, l’adoption de la technologie a augmenté de 270% en quatre ans. Rien que sur 2018, l’augmentation a été de 37%. L’IA devrait contribuer à hauteur de 15 700 milliards de dollars à l’économie mondiale en 2030, soit plus que le PIB cumulé actuel de la Chine et de l’Inde. Tous les secteurs d’activité l’utilisent. Elle est quasiment omniprésente. Une étude récente réalisée pour Axians et HPE indique que 62% des répondants à cette enquête ont déclaré avoir un projet en cours de déploiement ou en réflexion. Les principaux animateurs de ce marché sont des Américains ou des Chinois. Au Top10, sans tenir compte du chiffre d’affaires, on trouve Nvidia, Alphabet, Salesforce, Amazon, Microsoft, Baidu, Intel, Twilio, Facebook et Tencent.
Le secteur est aussi très vigoureux en nombre de jeunes pousses qui lèvent des sommes importantes pour continuer leur développement. Les plus actives ou les plus avancées sont parfois encore assez méconnues en dehors des circuits d’initiés. H2O.ai est une de celles-ci et fournit une plate-forme de machine learning open source qui rend aisé le développement d’applications intelligentes. Celle-ci est utilisée par plus de 100000 spécialistes et plus de 12600 entreprises dans le monde. L’entreprise revendique de fournir la plate-forme open source d’apprentissage profond la plus utilisée. Elle fournit des applications pour l’ensemble des secteurs d’activité. AlphaSense est un moteur de recherche intelligent s’appuyant sur l’Intelligence artificielle pour les secteurs des fonds d’investissements, les banques et les «Fortune 500» et se concentre sur la fourniture d’informations pertinentes sur différents types de documents comme des transcriptions d’appels, des formulaires de documents à destination des autorités boursières, des informations financières ou des recherches d’analystes. Une filiale de Google, DeepMind, se concentre sur la recherche sur l’Intelligence artificielle et a lancé des travaux qui vont du changement climatique à la santé et à la finance. Basée à Londres, la société recrute beaucoup dans les universités d’Oxford et de Cambridge qui sont deux universités en pointe sur les travaux sur l’Intelligence artificielle et l’apprentissage machine.
Graphcore a développé un nouveau système de processeur spécialisé dénommé IPU (Intelligence Processing Unit) qui permet de faire fonctionner beaucoup plus vite les modèles d’apprentissage machine. Cela autorise de réaliser des recherches impossibles avec les technologies classiques de processeurs. ICarbonX est une biotech chinoise qui utilise l’Intelligence artificielle pour fournir des analyses médicales personnalisées et des prédictions d’indexations médicales. L’entreprise a signé des partenariats avec sept compagnies technologiques à travers le monde pour collecter différentes données de santé et réalise des analyses génomiques, physiologiques et comportementales pour fournir des conseils médicaux et de santé.
Une technologie enfin disponible
OpenAI est une entreprise de recherche à but non lucratif qui travaille en Open source pour donner un accès libre à ses travaux et permettre aux chercheurs et aux institutions de collaborer librement au projet. L’organisation a pour origine l’interrogation sur les risques de l’utilisation de l’Intelligence artificielle.
Selon Philippe Harel, directeur de la practice IA chez Umanis, «toutes les entreprises ont des algorithmes ou des réseaux de neurones quelque part. Cela vient par des chemins directs ou indirects. Cela vient plus des métiers que de la DSI. Ce sont eux qui identifient les opportunités. Cela peut venir d’un peu partout, de la R&D, du marketing, de la production, des achats.»
L’Intelligence artificielle n’est pas un nouveau concept en soi. Il date de plusieurs décennies mais pour la première fois il est possible de l’exploiter pleinement du fait de la conjonction de différentes technologies. Aujourd’hui, la puissance de calcul disponible est quasiment sans limite avec le Cloud public ou les améliorations apportées au hardware lors des dernières années. Des analyses qui pouvaient prendre des semaines ou des heures sont réduites à quelques secondes, voire moins. L’étude précitée pour Axians et HPE détermine que près de la moitié des projets utilisent des configurations de plus de cinq cents CPU, soit des puissances de calcul importantes pour l’IA.
Les entreprises ont la possibilité aujourd’hui d’exploiter des jeux de données très larges avec l’ajout des données non structurées ou semi-structurées présentes dans l’entreprise. Les observateurs comparent d’ailleurs cette possibilité au pétrole, en qualifiant les données de nouvel or noir des entreprises.
L’évolution des technologies de stockage et l’utilisation des technologies Flash autorisent maintenant à la fois le stockage et le traitement de ces importants jeux de données pour des coûts économiquement supportables pour les entreprises. Stockage objet, scale-out NAS ou data lakes Hadoop offrent ainsi de multiples possibilités avec des ratios prix/Téraoctets raisonnables. C’est la conjonction de ces différentes évolutions qui rend maintenant possible l’utilisation importante de l’Intelligence artificielle dans les entreprises. Ensemble elles ouvrent la porte à l’IA et donnent de nouvelles possibilités aux entreprises de développer de nouveaux services ou produits en s’appuyant sur l’analyse des données.
Une technologie pas pleinement exploitée
Différents éléments font que l’Intelligence artificielle n’est pas exploitée pleinement par les entreprises. Une étude Odoxa réalisée en octobre dernier auprès de plus de 1000 personnes pour Oracle indique un sentiment ambivalent vis-à-vis de l’IA. Seuls 34% des Français considèrent que son développement dans le monde du travail est une opportunité pour les salariés et les entreprises, contre 65% qui jugent que c’est plutôt une menace. Plus les personnes interrogées étaient dans des postes subalternes et plus ce sentiment de défiance était grand. Dans le même temps, 71 % des Français – et 80% des cadres – pensent que l’IA au travail peut permettre aux entreprises d’être plus compétitives, soit le sentiment très majoritaire que cette technologie peut susciter des gains de performance : jusqu’à 69% des Français estiment qu’elle peut aussi aider les salariés en leur permettant de mieux travailler – par exemple en les déchargeant de tâches répétitives – et cette opinion est même partagée par 75% des moins de 35 ans, plus technophiles.
Près de la moitié (48%) des Français estiment aussi qu’elle permettra d’améliorer les échanges entre les entreprises et leurs clients (59% des 18-24 ans partagent cette opinion). L’étude démontre aussi que la technologie est rejetée quand elle se veut un outil d’évaluation du travail de l’humain. D’accord pour l’apport de l’IA dans le travail mais pas pour remplacer ou juger les tâches effectuées. Les principaux usages se développent autour du prédictif (72,4%) et de l’automatisation (61,2%). Le traitement des données issues des objets connectés ou déversées dans les datalakes est une préoccupation majeure des entreprises. Quant aux principaux domaines d’applications de l’IA, 62% des répondants l’utilisent pour l’apprentissage automatisé, 53% pour la détection des anomalies et des fraudes, 52% pour la maintenance prédictive, 48% pour la reconnaissance image et vidéo et 45% pour le calcul et les prévisions. Les entreprises, malgré ces éléments positifs, ont du mal à prendre le train. Une étude réalisée par Kynapse indique que 9 entreprises sur 10 n’ont pas encore déployé l’IA dans leur fonction finance malgré le fait que 60% des directeurs financiers pensent que leur entreprise aurait intérêt à investir dans l’IA spécifiquement pour la direction financière.
Manque de talents
Lors d’un webinaire organisé par le Hub Institute, Joffrey Martinez, directeur de la practice IA et cognitive chez IBM, identifiait « trois principaux points de blocage dans les projets IA : les données, les ressources ou talents et la confiance ». Il posait comme prérequis « d’avoir une véritable AI, architecture de l’information », en reprenant le slogan : « Pas d’IA sans AI.» Il mettait ensuite en exergue l’accès aux données et le manque d’outils ou de méthodologies pour gérer et suivre les modèles. Il indiquait de plus que 75% des entreprises manquaient de talents et de ressources nécessaires pour gérer les projets. Pour la confiance, il était important de résoudre les problèmes autour de l’explicabilité, de la traçabilité ainsi que de la robustesse de l’outil et la gestion des biais. Ce triptyque est nécessaire pour réussir à industrialiser les projets en Intelligence artificielle. À défaut, vous rejoindrez le flot des entreprises qui échouent. Une entreprise sur quatre voit 50 % de ses projets d’Intelligence artificielle échouer.