Saisi par la Ligue des Droits de l’Homme et la Quadrature du Net, le Conseil d’État vient de rendre une ordonnance en référé interdisant à la police parisienne l’utilisation de drones. La préfecture avait en effet permis le recours aux drones pour faire respecter les mesures de confinement.
Il y a peu, nous rapportions que le ministère de l’Intérieur avait passé commande de drones. Ce sont plus de 600 drones qui devaient alors servir d’auxiliaires de police. Or à Paris, lors du confinement, la préfecture avait déjà réfléchi à cette possibilité... et l’avait mis en oeuvre dès le 18 mars pour faire respecter les mesures de restriction de déplacement dans la capitale.
La LDH et la Quadrature du Net avaient demandé à la justice administrative d’interdire cette pratique, mais elles ont essuyé un refus en première instance. Dans les faits, les deux associations ont demandé que la justice enjoigne le préfet “de cesser immédiatement, à compter du prononcé de l’ordonnance à intervenir, de capter des images par drones, de les enregistrer, de les transmettre ou de les exploiter, puis de détruire toute image déjà captée dans ce contexte, sous astreinte de 1 024 euros par jour de retard”.
Les yeux dans le ciel
Les deux associations signalent que le recours aux drones dans le cadre d’une mission de police n’a pas de fondement légal. Une position désormais rejointe par le Conseil d’État. Celui-ci estime que, du fait de l’état d’urgence sanitaire, les autorités peuvent prendre des mesures exceptionnelles réduisant les libertés des citoyens, mesures qui doivent “présenter un caractère provisoire”.
Or, s’appuyant sur les ordres de la préfecture de police quant aux modalités d’engagement des drones lors de la surveillance du respect du confinement et sur les débats lors de l’audience, la plus haute juridiction administrative du pays considère que la requête des associations a conservé son objet, puisque la préfecture de police “continue de recourir à ces mesures de surveillance et de contrôle dans le cadre du plan de déconfinement mis en œuvre à compter du 11 mai 2020”. Pour autant, les juges ne s’opposent pas à la doctrine de l’emploi de drones à des fins de surveillance et qu’il n’est pas de nature à porter, par lui-même, une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées.
Données personnelles
Si les conclusions du Conseil d’État s’arrêtaient là, il en serait terminé du recours de la LDH et de la Quadrature. Mais les magistrats ont été amenés à considérer un autre point du débat : les données personnelles. Passons sur les quelques considérations techniques quant aux Mavic du constructeur DJI utilisés par la police : ceux-ci enregistrent des images de fort bonne qualité et disposent d’un zoom efficace... soit un risque que les individus sur les images soient clairement identifiables. “Alors même qu’il est soutenu que les données collectées par les drones utilisés par la préfecture de police ne revêtent pas un caractère personnel [...] il résulte de l’instruction que les appareils en cause sont susceptibles de collecter des données identifiantes et ne comportent aucun dispositif technique de nature à éviter, dans tous les cas, que les informations collectées puissent conduire, au bénéfice d’un autre usage que celui actuellement pratiqué, à rendre les personnes auxquelles elles se rapportent identifiables” écrit le Conseil d’État.
En d’autres termes, les images captées par les drones peuvent être considérées comme des données personnelles. Or, sur ce point, les juges du Palais-Royal sont on ne peut plus clairs : "compte tenu des risques d’un usage contraire aux règles de protection des données personnelles qu’elle comporte, la mise en œuvre, pour le compte de l’État, de ce traitement de données à caractère personnel sans l’intervention préalable d’un texte réglementaire en autorisant la création et en fixant les modalités d’utilisation devant obligatoirement être respectées ainsi que les garanties dont il doit être entouré caractérise une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée”.
Cela étant établi, les deux associations obtiennent gain de cause, la justice ordonnant l’État de cesser céans de faire voler ses drones à des fins de surveillance. Ce qui implique en l’état, et en l’absence d’un texte de loi sur le sujet, que l’Intérieur risque bien de se retrouver avec 650 drones juridiquement inutilisables sur les bras.