Une toute jeune plateforme, dont le lancement est limitée à l’Île-de-France, fait parler d’elle ces derniers jours. Tadata propose aux lycéens, étudiants et alternants d’être rémunérés en échange de leurs données. Mais le fonctionnement nébuleux du service préoccupe l’Internet Society France, qui a saisi la Cnil.
En début de semaine, l’Internet Society France, par la voix de son président Nicolas Chagny, avertissait la Cnil de l’existence d’une drôle de plateforme. Baptisée Tadata, ce site web s’adresse aux jeunes, leur proposant de « reprendre le contrôle de leurs données perso et gagner de l’argent avec ! ». « On a repéré quelques tweets, notamment quelques personnes qui s’étonnaient d’avoir reçu un SMS de promotion de cette plateforme. C’est là qu’on a décidé de creuser un peu » nous raconte Nicolas Chagny.
Poussant ses investigations, l’Isoc France s’inquiète : entre un « discours simpliste », le ciblage d’un public vulnérable au sens du RGPD et le manque de clarté de Tadata, « nous nous sommes posés beaucoup de questions » explique le président de l’association.
Finalement, dans un courrier en date du 11 février, l’Internet Society prévient la Cnil, l’alertant notamment sur le « caractère urgent » du fait de la « montée en puissance » de ce service. En effet, plusieurs médias, notamment à destination des étudiants, se sont faits les relais ces derniers jours de la communication de la plateforme. L’entreprise à l’origine de Tadata est elle aussi notifiée.
« Ce type d’approche très simpliste vient prendre le contre-pied de tous les efforts que l’on peut faire en termes d’éducation au numérique, on s’est dit qu’il fallait qu’on agisse rapidement » souligne Nicolas Chagny.
Du côté de Tadata, son cofondateur Laurent Pomies nous déclarait ce matin avoir été « surpris » de l’action de l’Internet Society. « Même si nous comprenons leur combat et leurs potentielles inquiétudes, ils n’ont jamais cherché à nous contacter pour échanger avec nous. Or nous sommes totalement à l’écoute de tout retour des utilisateurs, des annonceurs et des parties prenantes telles que les associations » se désole-t-il.
Boulette
Là où Tadata, constatant que les données sont « déjà captées et commercialisées, très souvent à notre insu », dit avoir fait le choix d’une « voie autre où la donnée personnelle rapporte quelque chose à celui qui la produit », l’Internet Society dénonce divers manquements dans les conditions d’utilisation… d’autant qu’au moment où l’association enquêtait, point de mentions légales sur le site. La faute à un « souci technique » indique Laurent Pomies, les mentions légales étant réapparues peu après.
Nous avons donc mené notre petite enquête en suivant le processus d’inscription. Et dès le début, surprise devant la masse d’informations exigées. Nom, prénom, âge, sexe, adresse postale, adresse mail, numéro de téléphone, mais aussi cursus scolaire et/ou professionnel (pour les alternants) détaillés, comprenant la filière suivie au lycée, la mention obtenue, la poursuite d’études, dans quelle université, dans quel parcours, combien d’années, quel diplôme, les projets d’orientation…
Une fois les nombreux champs renseignés, deux écrans successifs viennent recueillir le consentement de l’utilisateur, ou du « Jeune » comme le nomme les CGU. D’abord la charte éthique, dont on doit confirmer avoir pris connaissance, sans obligation de la lire. Enfin trois fenêtres, la première relative aux finalités de traitement opéré par Tadata, la seconde à celles des clients de la plateforme et enfin une typologie de clients pouvant potentiellement acheter vos données personnelles. Et un unique bouton pour consentir à l’ensemble de ses 16 finalités, dont certaines sont particulièrement larges.
Consentement général
Quant au transfert de données aux tiers, les CGU de la page d’inscription donne l’impression de tout fourrer dans le même sac. « TADATA confirme que les DCP transmises par le Jeune à TADATA sont strictement confidentielles et que hormis les cas limitativement énumérés aux présentes et/ou prévus par la loi, elles ne peuvent être divulguées à des tiers qu’avec l’accord exprès du Jeune » signalent les CGU. Mais, dans le même temps « le Jeune consent expressément, dans le cadre la Licence d’Utilisation, à ce que TADATA mette certaines DCP à la disposition de fournisseurs et filiales pour le traitement de celle-ci ». Ce faisant, pour paraphraser Nicolas Chagny, les conditions d’utilisation s’avèrent « nébuleuses et risquées ».
Le tout n’est pas très RGPD, le consentement n’étant pas spécifique, et probablement pas très éclairé. Laurent Pomies nous explique cependant que ce format a été adopté « sur la base de notre conseil juridique » et que, la plateforme débutant, il n’est pas exclu « de faire autrement ». Enfin, la plateforme demande au jeune de confirmer son adresse email et numéro de téléphone, mais oblige également à fournir sa carte d’identité, point dont l’Internet Society France estime qu’il « semble dépasser la finalité ». Pour le cofondateur de Tadata, cette demande se justifie par des enjeux de sécurité, afin d’éviter le multicompte et les faux comptes. « La carte est détruite au bout de 20 secondes, dès les noms et prénoms vérifiés. Elle n’est jamais consultée par un humain ».
Il est en outre nécessaire de télécharger l’application iOS ou Android. Et là, c’est le festival des permissions. L’application Tadata sur Android réclame l’accès à l’agenda du téléphone, à sa caméra et à son micro, à sa position, aux listes de contacts, au stockage… Or dans ses CGU, la plateforme indique clairement que « les données techniques du terminal du Jeune sont automatiquement collectées et enregistrées par le site de TADATA, à des fins publicitaires, commerciales et statistiques internes à TADATA ». Mais là encore, Laurent Pomies nous assure qu’il ne s’agit pas « d’aller chercher des informations sur le téléphone de l’utilisateur », chacune de ses permissions servant une finalité technique, notamment la vérification de l’identité de l’utilisateur.
Pas de collecte « masquée »
De même, l’inscription web permet de se connecter via Facebook. Et les CGU mentionnent que « ledit service est susceptible de communiquer des informations de profil, de connexion, ainsi que toute autre information dont le Jeune aurait préalablement autorisé la divulgation. TADATA pourra agréger les informations relatives à tous les autres Etudiants, groupes, comptes, aux données personnelles disponibles sur le Jeune ». Ce qui laisse entendre que Tadata va récupérer les informations publiques du profil de l’utilisateur. Lorsque nous soulevons ce point, Laurent Pomies souligne que, hormis les informations de connexion, la plateforme « ne récupère aucune autre information sur Facebook ». Pas de tentative de collecter des données « de façon masquée », mais plutôt une formulation hasardeuse des CGU.
Et c’est peut-être là le cœur du problème : des erreurs de formulation et une dissémination des informations. Ainsi, sur le site, on peut lire que les données sont exploitées « pour une durée de 2 ans, dans le cadre d’une licence d’utilisation concédée aux annonceurs, en conservant tes droits à désinscription à tout moment ». En recoupant avec la FAQ, on apprend également que « les annonceurs qui ont acquis une licence d’utilisation de tes données sont donc autorisées à continuer à les utiliser même si tu t’es désinscrit(e) de Tadata ». On comprend vite le problème posé à l’égard du droit…
Ce qui ne serait a priori pas le cas, puisque l’utilisateur « peut se désinscrire à tout moment de Tadata ou des annonceurs » selon Laurent Pomies. « A partir du moment où une donnée est cédée à un annonceur, l’utilisateur est notifié pour qu’il puisse demander le cas échéant la suppression de sa donnée ». Mais la suppression par Tadata des données côté annonceurs en cas de désinscription de la plateforme « n’est pas un service qu’on propose pour le moment ». Le cofondateur ajoute : « on vient de se lancer, on teste et on apprend afin de pouvoir faire les ajustements qui s’imposent ». Mais la formulation sur la révocation du consentement « reste ambigüe », selon Nicolas Chagny
Défaut d’information
Chez Tadata, on reconnaît avoir pris des raccourcis dans le discours, par souci de simplicité. Mais le principe même de la plateforme, soutient Laurent Pomies, est le volontariat : les données ne sont collectées que lorsqu’elles sont renseignées par l’utilisateur, et vendues aux annonceurs que l’utilisateur aura préalablement choisis. S’il n’est aucune raison de douter des bonnes intentions des créateurs du site, reste l’épineuse question du discours. Outre le sujet de la valeur marchande d’une donnée personnelle, que nous laissons aux juristes, ce sont deux visions de la donnée personnelle qui s’affrontent. Elargissement volontariste de la collecte de données du côté de Tadata contre minimisation de la collecte au regard de la finalité du côté de l’Internet Society.
Et au milieu, la Cnil qui a accusé réception du courrier de l’association. Le principal souci de la plateforme demeure son aspect « nébuleux ». Laurent Pomies ne nie pas que Tadata est encore tout jeune et sera amené à évoluer. Quant à Nicolas Chagny, il déplore tout de même un relatif « amateurisme » : « lorsque l’on crée un service comme ça, on doit laver plus blanc que blanc. Tout ça semble fait un peu à la va-vite alors que le sujet est sérieux et le public visé vulnérable. Quand on associe les deux, on se doit d’être irréprochable ».
Il reste donc du travail pour que Tadata soit irréprochable et on ne peut qu’espérer que l’entreprise et l’association se rapprochent (pourquoi pas avec la Cnil) de sorte que la plateforme soit conforme à la réglementation en vigueur et aux objectifs d’équité et de transparence affichés.