Si vous ne connaissez pas les personnes dont je vais parler et si vous continuez à penser que la meilleure façon de punir vos enfants est de leur interdire les jeux vidéo et autres petits plaisirs sur console ou téléphone, vous avez statistiquement beaucoup de chance d’avoir plus de 35 ans et de ne rien comprendre au phénomène de l’eSport !
L’eSport génère déjà une audience de 300 millions de spectateurs assidus sur des chaînes spécialisées comme Twitch avec différents canaux de diffusion dédiés à des jeux spécifiques, comme Dota 2 ou League of Legends. Cette chaîne revendiquait déjà 100 millions de visiteurs uniques chaque mois en 2015. Au global, ce sont près de 460 millions d’euros qui sont dépensé pour jouer, suivre ou s’inscrire dans des compétitions. En 2020, le chiffre devrait atteindre le milliard.
À Dijon, un bar s’est ouvert pour permettre aux clients de suivre les compétitions et le « sports bar » américain se convertit lui aussi en « eSport bar » dans les grandes métropoles américaines. Mieux que cela, à Freyming-Merlebach, une école d’eSport a ouvert ses portes pour accueillir et former les futurs champions et cadres de cette nouvelle discipline.
L’eSport, c’est du sport
La preuve que le sport c’est bien. L’Équipe a maintenant une page dédiée sur son site sur les différents tournois et qualifications de ces nouvelles idoles des jeux vidéo. Le Monde a aussi sa page eSport. Une étude réalisée par un ancien joueur d’eSport professionnel, aujourd’hui doctorant à la Mayo Clinic dans le Minnesota, explique dans les colonnes de L’Équipe : « J’aime dire que le truc le plus dur que j’ai fait dans ma vie, c’est de jouer à WoW – World of Warcraft – à haut niveau, témoigne le jeune trentenaire. À la fin, c’est comme si vous aviez couru un marathon, vous êtes juste épuisé mentalement et physiquement. » Bien sûr l’activité ne réclame pas les mêmes qualités que les athlètes ou footballeurs, cependant des qualités dites « mécaniques » sont importantes comme la coordination oeil/main. Certains pros de l’eSport en ont une meilleure que les meilleurs joueurs de tennis de table. Il faut aussi juger du temps de réaction et du nombre d’actions par minute que peut effectuer le joueur. Losira, le pseudo d’un joueur coréen, affiche sept actions par seconde ; le Paganini de la souris ! Plus que ces qualités mécaniques, il convient de voir le travail sur la concentration, la vitesse de prise de décision et la résistance au stress des plus grands joueurs d’eSport. Ces qualités demandent une hygiène de vie impeccable pour être optimal et les plus grands champions de la discipline ont des profils bien loin de ce que l’on pourrait imaginer pour des personnes assises toute la journée devant leur écran. Cela demande de plus un équilibre mental assez fort car les joueurs sont isolés ou en équipe pendant des semaines pour trouver la combinaison idéale de jeu et améliorer la coordination dans l’équipe.
Comme tous les sportifs, la blessure est le pire ennemi du compétiteur. La plupart des professionnels de la discipline sont assurés pour leur poignet et si pour les footballeurs la fracture ou la déchirure des ligaments croisés sont graves, le syndrome du canal carpien est le principal ennemi du joueur d’eSport. Ce dernier a mis plus d’un compétiteur à la retraite. Au passage, la discipline est en passe de devenir un sport de démonstration dans de prochaines éditions des Jeux olympiques. Pourquoi pas ? Les premières éditions de cette compétition avaient encore, à l’image de leurs ancêtres antiques, un concours de poésie dans leur programme ! À tel point que récemment le président de la Fédération international de tennis, David Hagerty, voyait l’eSport comme son principal concurrent dans la croissance des audiences. Et si l’audience s’en va vers autre chose que les tournois de tennis, les rentrées en droits de diffusion vont plonger ! L’attaque est directe au tiroir-caisse.
L’eSport, c’est du business !
Le secteur est devenu surtout le terrain de jeu de grandes marques, de médias et de clubs sportifs qui y voient une magnifique occasion d’accroître la renommée de leurs marques. Coca-Cola, Redbull ou New Balance, une marque de vêtements de sport et de mode urbaine, sont de gros sponsors du secteur. Les clubs sportifs s’y sont mis aussi, Paris Saint-Germain en tête, ainsi que le LOSC, le club de foot de Lille. À terme, chaque club va avoir sa section eSport devant l’engouement et les retombées économiques du phénomène.
Les gains des eSportifs sont en rapport. Lee Sang Hyeok, dit Faker, est la nouvelle idole du genre et a cumulé plus de 1 million de dollars de gains sur les compétitions de League of Legends. Ils sont une poignée à l’avoir réalisé mais, comme dans d’autres sports, les tournois se multipliant et les bourses augmentant, il devrait y avoir des dizaines de millionnaires d’ici à quelques années. La plupart des tournois sont cependant toujours faiblement dotés et proposent des gains de quelques centaines d’euros. Mais les compétitions de haut niveau sont très rémunératrices pour… les vainqueurs.
Aujourd’hui, les premières places sont trustées par les Asiatiques, Chinois et Coréens en tête. En Corée du Sud, on recense 250 joueurs professionnels. En France, sans réel statut, ils sont 50 à être connus dans diverses compétitions, dont celles sur FIFA 17.
Les pouvoirs publics commencent à suivre le secteur et une association essaie de promouvoir l’eSport et lui donner un statut de véritable fédération sportive. On en est encore loin semble-t-il. Cela paraît nécessaire pour encadrer une activité jeune à tous les points de vue, mais qui connaît déjà ses problèmes de dopage et de matchs truqués. Alors, vous voulez toujours priver votre enfant de sa console ou de son jeu sur PC ? Il pourrait bien assurer votre retraite. Dites-vous qu’il ne perd pas son temps, mais qu’il travaille sa concentration, sa capacité à prendre rapidement des décisions et sa résistance au stress à la veille des examens ! D’ailleurs il ne joue déjà plus, il s’entraîne pour la prochaine compet’.
Article publié dans le n°159 de L'Informaticien.