Kaspersky accusé d’espionnage

Le Wall Street Journal affirme que des données stratégiques de la NSA ont été dérobées sur un portable avec la complicité – active ou passive – d’un logiciel antivirus de Kaspersky Lab.

Le WSJ a-t-il fondu les plombs ? Le quotidien américain publie en effet un article expliquant que des hackers travaillant pour le gouvernement russe ont dérobé des informations confidentielles sur un ordinateur personnel appartenant à un sous-traitant de la NSA. Pour ce faire, les pirates se seraient appuyés sur une porte dérobée existant dans le logiciel anti-virus de Kaspersky Lab.

Le problème est que notre confrère ne fournit aucune preuve ni même commencement d’icelle de ce qu’il affirme. Selon la formule consacrée, le WSJ s’appuie sur des personnes informées de la situation. Bien évidemment, il n’est pas dans notre propos de remettre en cause la protection des sources à laquelle nous sommes évidemment très attachés mais une accusation aussi grave mérite tout de même un peu plus d’explication que le fameux : « quelqu’un m’a dit que ».

Il n’est pas non plus dans notre propos de verser dans l’angélisme : Kaspersky est possiblement beaucoup plus lié aux autorités russes qu’il ne le prétend. Pour l’avoir rencontré à plusieurs reprises, nous pouvons vous affirmer qu’Eugene Kaspersky est un sac à malices à lui tout seul. Doté d’un solide charisme, d’un goût de la vie que nous qualifierons de slave, il est capable de vous embrouiller à la vitesse de la lumière. Il vous affirmera que 1+1=3 sans aucune gêne et de si belle manière que vous serez prêt à y croire, pour vous expliquer dans la minute suivante qu’il n’a jamais dit cela, qu’il s’est mal exprimé, que son anglais est hasardeux ou que vous avez mal compris.

Snowden n'existe pas

Mais, revenons sur les « faits » décrits par le WSJ. Un sous-traitant de la NSA aurait ramené des informations confidentielles sur son ordinateur à domicile, lequel abritait le logiciel anti-virus de Kaspersky Lab. Les informations, selon les sources anonymes, comprenaient « des détails sur la façon dont la NSA pénètre les réseaux informatiques étrangers, le code informatique utilisé pour un tel espionnage et la façon dont il défend les réseaux à l'intérieur des États-Unis ».  En 2015, ces informations ont été dérobées par des pirates sponsorisés par la Russie qui « semblent avoir ciblé le contractant parce qu’il utilisait le logiciel de Kaspersky ». « La brèche a été découverte au cours des trois premiers mois de 2016 ».

Tout ceci pose déjà beaucoup de questions, la première étant : comment un sous-traitant de la NSA peut ramener chez lui des informations aussi sensibles et les copier sur son propre PC comme s’il s’agissait de la meilleure recette de pâtes à la carbonara. A notre connaissance, Edward Snowden est passé par là et il nous paraît totalement incongru de croire que la NSA n’a pas renforcé sensiblement ses propres politiques de sécurité, particulièrement à l’égard des sous-traitants.

Mais le WSJ ne s’arrête pas là et s’embarque dans un gloubi-boulga indigeste où ses rédacteurs affirment sans certitude que le logiciel antivirus aurait pu détecter qu’il s’agissait de fichiers NSA et donc aurait prévenu des hackers qu’il fallait cibler cet ordinateur et dérober lesdits fichiers. Tout ceci sous couvert de « sources au courant du sujet » de « may », « should » et autres précautions de langage.

L’article cite des anciens collaborateurs de la NSA qui indiquent que Kaspersky est un gruyère plein de trous contenant plus de vulnérabilités que de lignes de code. Certes, en septembre 2015 un chercheur de Google – Tavis Ormandy – avait mis à jour un certain nombre de failles dans le logiciel, failles qui auraient pu permettre des attaques ou des prises de contrôle du PC. Ces failles ont été corrigées mais il est possible – voire certain – qu’il en subsiste d’autres. Mais il est tout aussi certain que les concurrents de Kaspersky contiennent au moins le même nombre de vulnérabilités.

Tous coupables parce que... Russes

Tout ceci arrive quelques temps après que le gouvernement américain ait officiellement recommandé à ses administrations de ne plus utiliser le logiciel d’origine russe. Tout ceci intervient également en pleine histoire de « piratage » ou de tentative d’influencer la dernière élection présidentielle américaine, ainsi que les élections européennes. Kaspersky s’est défendu dans un communiqué officiel dont chaque mot est pesé au trébuchet :


Kaspersky Lab n'a reçu aucune preuve justifiant la participation de l'entreprise dans le prétendu incident signalé par le Wall Street Journal le 5 octobre 2017 et il est regrettable que la couverture médiatique continue de perpétuer des accusations contre notre entreprise. En tant que société privée, Kaspersky Lab n'a pas de liens inappropriés avec un gouvernement, y compris la Russie, et la seule conclusion semble être que Kaspersky Lab est pris au milieu d'une lutte géopolitique. Nous ne nous excusons pas d'être agressifs dans la lutte contre les logiciels malveillants et les cybercriminels. La société détecte et corrige les infections des logiciels malveillants, quelle que soit la source, et nous l'avons fait avec fierté depuis 20 ans, ce qui a conduit à des notes élevées dans les tests indépendants de détection de logiciels malveillants. Il est également important de noter que les produits de Kaspersky Lab respectent les normes strictes de l'industrie de la cybersécurité et ont des niveaux d'accès et des privilèges semblables aux systèmes qu'ils protègent comme tout autre fournisseur de sécurité populaire aux États-Unis et dans le monde

La NSA prend-t-elle sa revanche ?

Pour finir, il n’est pas inutile de rappeler que Kaspersky figurait parmi les spécialistes de cybersécurité qui avaient mis à jour en détail le fonctionnement de plusieurs opérations de piratage menées par la NSA, notamment The Equation Group. C’est également cette entreprise qui avait analysé le plus profondément le ver Stuxnet et mis à jour les liens entre Israël et les USA dans leur lutte contre la prolifération nucléaire en Iran.

Finalement, et comme le souligne notre confrère Dan Goodin de Ars Technica, on ne comprend pas bien la manœuvre du WSJ. Si l’affaire est avérée, Kaspersky n’a plus qu’à mettre la clé sous la porte. Dans ce cas, le WSJ doit apporter des preuves de ses allégations. Si tel n’est pas le cas, le WSJ se met au même niveau que certaines officines de divulgation de « fake news ». Et c’est très dommage pour un journal de cette envergure.