Les lecteurs réguliers de cette rubrique savent mon affection profonde pour le buzzword de l’année, la transformation numérique. Rappelez-vous son bras armé au début de l’an dernier qui devait être le CDO, le Chief Digital Officer. Avec lui on allait voir ce qu’on allait voir. L’innovation et les nouveaux services devaient tomber comme à Gravelotte et infuser l’ensemble de l’entreprise.
De toutes manières, les entreprises étaient obligées de faire cette mutation, à défaut de mourir à petit feu devant des compétiteurs plus rapides dans cette mutation ou par une « ubérisation » fatale. Au passage remarquons que Uber tombe de Charybde en Scylla et que AirBnB se range bien gentiment aux admonestations des différentes administrations qui régissent son activité – retrait des cartes de paiement, mise en place de taxes diverses et variées sur l’activité. À son tour, Amazon ouvre des magasins physiques. Bref, tous les éléments qui faisaient de la transformation numérique un danger immédiat pour les entreprises ont pour la plupart disparu ou ont pris un sacré plomb dans l’aile. Il n’est pas ici l’idée de nier le choc de productivité dont ont besoin les entreprises pour se maintenir face à une concurrence internationale agressive, celle d’Europe de l’Est, de Chine, de l’Inde, mais de remettre à leur place les jugements un peu hâtifs que nous avons vus au début de l’année dernière sur la mort annoncée de ceux qui ne se transformaient pas assez vite. Cela rappelait surtout de mauvais souvenirs, comme le « hold-up » de l’an 2000 et de son fameux Bug ou de l’explosion autour des valeurs internet.
Une force de proposition
Mais revenons à notre mouton à cinq pattes de CDO. L’année écoulée, loin de lui consacrer son rôle prééminent dans les entreprises, l’a vu peu à peu disparaître. Aujourd’hui on peut même réaliser une nouvelle édition de « Perdu de vue » pour cette fonction. Lors d’un récent dîner en ville organisé par le Club de la Presse Informatique B2B, des DSI ont été interrogés sur le rôle du CDO et sur la question de savoir où il était passé ? Tous s’accordaient sur le rôle transitoire du CDO, « des managers de transition » qui ne sont pas intervenus là où ils étaient attendus, c’est-à-dire sur le côté métier ou dans les évolutions vers l’e-commerce. Si le CDO reste une force de proposition, sponsor dans certains cas vers un mouvement, vers plus d’agilité, il ne porte pas concrètement de projet. Son rôle semble plus important dans les entreprises de plus petites tailles où il a infusé une culture marketing avec l’utilisation des réseaux sociaux et l’évolution vers l’e-commerce. Dans un sens il est devenu un super « community manager », dans l’autre il joue le rôle de Géo Trouvetou, mais il semblerait que sa voix se perde dans la réalité de ce que provoque la transition numérique qui reste l’apanage de la DSI. Comme au bon vieux temps. De plus, lorsque la culture de la digitalisation est installée dans l’entreprise son rôle n’a plus lieu d’être. D’où sa disparition annoncée. Le DSI reste le gardien du temple et nul CDO ne viendra le déloger !
Un CDO disparaît, un autre apparaît !
Si le Chief Digital Officer voit son rôle se réduire comme peau de chagrin et proche de la sortie pour se retrouver au Panthéon de l’Informatique pour services rendus, les DSI présents étaient plus soucieux sur la place que pourrait prendre un autre CDO, le Chief Data Officer. Kicésuila ? Selon une fiche présente sur le site du CIDJ, « le CDO assume une fonction transversale afin d’acquérir la meilleure connaissance de son entreprise, qu’elle soit de services, de process, de métiers, d’enjeux business. Il est donc au cœur des sujets. Le Chief Data Officer s’assure que les informations recueillies en interne comme en externe sont fiables, cohérentes entre elles et permettent un traitement ouvrant aux décisions adaptées. Les responsabilités qui sont les siennes en matière de qualité et de cohérence des données se situent à la rencontre de différentes fonctions : contrôleur de gestion, directeur informatique (DSI), responsables des activités opérationnelles et des fonctions supports. Il travaille aussi en relation avec d’autres spécialistes comme le Data Scientist ou l’analyste web. Le CDO possède une grande qualité d’écoute, de pédagogie et de communication ». 18 % des entreprises en avaient nommé un en 2016. Ses missions sont diverses allant de la valorisation des données à la conduite du changement. Là les DSI voient dans ce nouveau personnage de l’entreprise une présence beaucoup plus durable avec un rôle qui piétine directement leurs plates-bandes. Jusqu’à présent le DSI était le garant de la qualité et de la cohérence des données, le nouveau CDO pourrait bien leur enlever une bonne partie de leurs prérogatives. Il en est de même pour le RSSI. Le rôle de garant des données va faire du CDO le responsable de la sécurité des données. Il ne devrait cependant pas devenir un spécialiste à part entière et laisser la part de respect des règles comme le RGPD à un DPO, Data Protection Officer, qui ne sera concerné que par le respect de conformité.
Comme toute nouvelle fonction, son contour est encore flou et varie d’un CDO à l’autre ! Par sa transversalité, la diplomatie est un atout majeur dans sa réussite. Le Gartner, toujours optimiste, pense que la plupart des grandes structures (90 %) en auront un dans les deux ans. La BNP a déjà un de ces responsables sur le domaine des données RH. Il est en charge de la qualité et de la sécurité des données.
Cet enthousiasme « gartnérien » est immédiatement tempéré par les obstacles que va rencontrer ce nouveau « roi des données » : l’accès aux données, à leur qualité ou à leur morcellement. Gartner d’ailleurs voit la moitié d’entre eux faillir dans leur mission compte tenu de la nouveauté du métier et des difficultés qu’ils auront à créer une stratégie d’information avec des mesures pertinentes, sans oublier la mesure d’impact sur les activités de l’entreprise. Encourageant ! Souhaitons-lui tout de même une bonne année 2018 ! Comme à tous nos lecteurs. ❍
Article publié dans le n°164 de L'Informaticien.