En pleines vacances scolaires, la direction du collège-lycée privé parisien Rocroy-Saint-Vincent de Paul espérait peut-être que sa mesure passerait discrètement. A partir de la rentrée, les élèves seront tous équipés d’un dispositif connecté facilitant le signalement des absences. Une mesure qui provoque la colère des concernés.
Des objets connectés pour fliquer les élèves et lutter contre l’absentéisme ? C’est le projet de l’école privée Rocroy-Saint-Vincent de Paul, à Paris, qui compte équiper à la rentrée ses élèves d’un porte-clé permettant de localiser un élève lors de l’appel, une mesure glissée dans son règlement intérieur qui fait bondir les parents d’élèves. Une pétition en ligne a recueilli plus de 3500 signatures à l’heure où nous écrivons ces lignes.
Ce porte clé, connecté à la solution EcoleDirecte développée par Statim et utilisée dans les écoles privées, est né d’une jeune startup fondée par une lycéenne : New School. Celle-ci propose une application destinée à aider les enseignants et ce fameux porte-clé connecté qui ont eu droit aux honneurs des plateaux télévisés. L’entreprise explique que « la protection de la vie privée de nos utilisateurs est notre priorité. Seuls les enseignants peuvent se connecter à leur application NewSchool. Toutes nos données sont cryptées, et personne ne peut y avoir accès ».
Un dispositif utilisé par 5000 enseignants
Mais où sont donc stockées les données ? « Sur un serveur situé sur le territoire français » indique New School. « Elles sont sous la souveraineté de l’établissement » ajoute Rocroy-Saint-Vincent-de-Paul. Chez OVH, assure pour sa part nos confrères de Next Inpact. Si les données des élèves ne seront pas utilisées dans un cadre commercial, New School a pour projet d’étoffer ses services, permettant à l’élève d’utiliser ce porte clé comme une carte de cantine et de bibliothèque et pour entrer et sortir de l’établissement.
Notons que selon l’établissement le porte clé est « déjà utilisé par plusieurs établissements et plus de 5000 enseignants ». Avec ou sans le consentement express des élèves ? Un autre problème est la totale opacité autour des technologies sur lesquelles se base ce porte-clé. Les données sont « chiffrées » indique la jeune pousse. Mais avec quels algorithmes ? De bout en bout ?
Chiffré et sécurisé ?
Toujours sur ces questions, la société insiste fortement sur le fait que son service ne géolocalise pas les élèves mais les « localisent » à l’aide d’une simple requête en Bluetooth. Le porte clé « ne permet donc pas de connaitre la position ou les déplacements des élèves »… on se rappellera BlueBorne en fin d’année dernière : le protocole est loin d’être 100% sécurisé. Pour peu que le signal soit intercepté et reproduit, il sera alors aisé de localiser un élève dans un rayon de 75 m.
L’idée principale derrière ces portes clés est de faciliter l’appel en classe, et non de fliquer les élèves… quoique l’explication fournie par l’établissement scolaire puisse laisser entendre le contraire : « celui-ci sera désormais une aide afin de s’assurer de la présence de chacun d’eux en classe, sur les installations sportives, au CDI et lors des sorties mais aussi au cours des exercices de sécurité (incendie, PPMS) ».
Quid du consentement ?
Hasard de calendrier, cette affaire éclate au moment même où la Cnil épingle une autre institution privée, l’ITIC. Le gendarme des données personnelles reproche à cette école d’avoir mis en place un dispositif de vidéosurveillance disproportionné, de ne pas informer correctement les personnes filmées, de conserver les images au-delà du délai prévu sans une sécurisation suffisante. Sécurité défaillante, information insuffisante, surveillance intrusive… à ces reproches hypothétiques l’école Rocroy-Saint-Vincent-de-Paul ajoute l’absence de recueil du consentement des élèves dans les conditions prévues par la loi, semble-t-il.
En effet, selon la pétition, ce dispositif est introduit dans un article du règlement intérieur de l’école, que les élèves doivent accepter dans son intégralité à la rentrée. « Ce nouvel article est tout bonnement inacceptable, les élèves n’étant pas des objets appartenant à Rocroy » dénonce la pétition. Si NewSchool se targue d’une « déclaration à la Cnil », on attend encore l’avis du régulateur sur la question (nous n’avons en effet pas pu joindre la Cnil ce matin).