Afin de réduire la latence vers leurs utilisateurs en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie, les géants d’Internet installent leurs serveurs à Marseille.
Alors que les câbles en provenance d’Amérique arrivent en divers points au nord de l’Europe, Marseille fédère tous ceux qui transitent par la Méditerranée.
Marseille, second port de marine marchande en Méditerranée, est en passe de devenir le premier port numérique d’Europe. D’ici à 2019 et l’ajout de trois nouveaux câbles optiques « backbones » aux dix existants, la cité Phocéenne véhiculera à elle seule 300 Tbits/s d’Internet occidental vers les internautes d’Asie, du Moyen-Orient et d’Afrique. Soit vers plus de 4 milliards d’individus ! Au nord de l’Europe, les câbles en provenance d’Amérique arrivent à différents endroits des côtes atlantiques et de la Mer du Nord, puis convergent vers des hubs terrestres, comme Londres, Amsterdam, Paris et Francfort.
« Sachant que les câbles sous-marins coûtent dix fois moins cher que les terrestres, Marseille est idéalement située entre le Rhône, d’où arrivent les backbones de Paris et Francfort, et la Méditerranée, d’où partent les backbones qui longent les côtes de l’Afrique et de l’océan Indien, jusqu’à Pékin », explique à L’Informaticien Fabrice Coquio, le président d’Interxion, la chaîne de datacenters néerlandaise qui inaugure justement ces jours-ci 4 500 m2 de salles blanches supplémentaires sur le port de Marseille.
Marseille, relais de l’Internet occidental...
Car pour les géants d’Internet, l’idée est à présent de se servir de Marseille comme point de relais pour diffuser plus vite leurs contenus au-delà de l’Europe. Ainsi, en installant leurs propres serveurs dans le bâtiment MRS1, ou le nouveau MRS2, que Interxion vient d’ouvrir sur le port, des éditeurs américains comme Netflix ou Facebook seraient à 10 millisecondes de leurs utilisateurs à Singapour, alors qu’il faut compter plusieurs centaines de millisecondes depuis leurs serveurs-relais situés dans le nord de l’Europe, à Londres, Amsterdam, Paris ou Francfort. « Contrairement à nos autres datacenters d’Europe, qui servent des besoins locaux, ceux de Marseille hébergent désormais une majorité d’entreprises étrangères. Car nous sommes à l’endroit où il est le plus simple de s’installer pour proposer des services à l’Asie ou à l’Afrique », commente ainsi Fabrice Coquio.
Google, avec l’appui d’Orange, serait même en train d’installer un câble qui relie plus directement la côte est des États-Unis à Marseille. Partant de Virginie, celui-ci arrivera dans quelques mois en Vendée, à SaintHilaire-de-Riez, pour repartir vers Marseille via la Loire et le Rhône, sans passer par Paris.
…et hébergeur des entreprises africaines et asiatiques
Par ailleurs, les datacenters du port de Marseille représentent une opportunité économique pour les opérateurs africains et asiatiques euxmêmes. « Il faut savoir que les marchés télécoms ne sont pas encore totalement dérégulés en Afrique ou en Asie. Sans concurrence, les prix des connexions restent particulièrement élevés et par là-même celui du fret télécom. Comptez par exemple 5 000 € par mois au Maroc pour une liaison à 10 Gbits/s entre une entreprise et un datacenter situé dans la même zone urbaine, alors qu’une liaison en 100 Gbits/s coûte 250 € par mois en France », dévoile Fabrice Coquio.
Fabrice Coquio, président d’Interxion, à l’inauguration du bâtiment MRS2.
Résultat, plutôt que de faire héberger leur SI chez des opérateurs locaux, les banques, les compagnies d’assurance et autres industriels préfèrent s’installer à Marseille pour alimenter des services qui seront hébergés – souvent via Capgemini ou Atos – depuis les bâtiments d’Interxion. Selon des détails que L’Informaticien a pu obtenir, les institutions financières chinoises seraient d’ailleurs particulièrement friandes de ce procédé qui leur permet de conquérir le marché africain avec un minimum d’investissement pour un débit maximal. Autre exemple, c’est aussi à Marseille que Total aurait installé le datacenter qui sert sa plate-forme pétrolière flottante au large de l’Angola, et ce, via Angola Telecom, également installé dans les bâtiments d’Interxion.
Si Fabrice Coquio se refuse à révéler les noms des entreprises qui installent leurs serveurs au MRS1 (250 clients à ce jour) et bientôt au MRS2, certaines sources indiquent que la plupart des opérateurs de Cloud public ont déjà passé commande pour plusieurs dizaines de mètres carrés, sinon une salle entière. Une hypothèse que l’on est tenté de croire, tant AWS, Google et Azure sont sur les rangs pour promettre à leurs clients du haut débit vers leurs utilisateurs ; haut débit qu’ils factureront plus cher car la bande passante consommée entre dans leurs grilles tarifaires.
La question de l’opportunité économique pour la ville
Reste à savoir comment l’opportunité géoéconomique de Marseille va se transformer en opportunité économique tout court pour la ville. Pour l’heure, Interxion n’embauche en tout qu’une quarantaine de personnes pour s’occuper de la maintenance de ses bâtiments. Ces personnels, dont 28 arrivent avec le MRS2, sont principalement des électriciens et des plombiers, qui assurent le fonctionnement des circuits d’énergie et de refroidissement des salles informatiques. « La dynamique économique pour la ville n’est pas à chercher dans les emplois que nous créons nous-mêmes, mais dans les salariés que nos clients installent ici, dans des bureaux et des logements marseillais, pour s’occuper des baies de serveurs qu’ils installent chez nous », affirme Fabrice Coquio.
S’il n’indique pas le nombre de ces travailleurs détachés, Fabrice Coquio estime à 250 le nombre de visites quotidiennes au sein des MRS1 et MRS2 pour effectuer des opérations de maintenance physique – ajout de serveurs, remplacement de disques, sauvegardes sur bandes, etc. Comme ces opérations ne sont pas quotidiennes, il est raisonnable de penser que ce sont plus d’un millier d’informaticiens qui s’installeront alentour pour intervenir à tour de rôle.
De leur côté, les pouvoirs publics y croient. « Marseille est désormais sur les rangs pour faire partie des acteurs les plus décisifs en matière de hub numérique, ce qui attirera des investissements du monde entier et des opportunités de développement économiques », a ainsi déclaré Christine Cabeau Woehrel, directrice générale du Grand port maritime de Marseille, lors de l’inauguration du MRS2.
L’opportunité d’exploiter des sites inutilisés
En attendant, le chantier même du MRS2 (76 millions d’euros) et, bientôt, celui du MRS3, bénéficient à la ville. Dans les deux cas, Interxion rénove et occupe des bâtiments historiques que Marseille ne pouvait pas rentabiliser. Le MRS2 est ainsi installé au sein d’une halle Freyssinet similaire à celle dans laquelle s’est installé l’incubateur Station F à Paris et inoccupée depuis 1995. Le MRS3, dont les travaux devraient débuter d’ici à la fin de l’année, prendra quant à lui place au sein d’une ancienne base de sous-marins allemands construite en 1943 et jamais utilisée depuis. Et pour cause : conçue abriter trente U-Boote, elle se compose d’alvéoles de 13 mètres de haut sur 9 000 m2, derrière un mur de 2,85 m d’épaisseur et sous un toit épais de 6 mètres.
« Le coût de démantèlement de ce bâtiment est de 26 millions d’euros, c’est-à-dire qu’aucune entreprise n’a jamais trouvé un intérêt économique à venir le détruire pour s’installer à sa place. Nous sommes les seuls dont l’activité est compatible avec cette construction particulière en alvéoles. D’autant plus que la solidité du toit nous permet d’y entreposer toute l’infrastructure de froid ainsi que les trois citernes de 80 000 litres de fuel dont nous nous servons en cas de coupure électrique », conclut Fabrice Coquio.
Interxion avait débuté son activité à Marseille en rachetant le site Netcenter de SFR en 2014 pour en faire le bâtiment MRS1 (2 000 m2). L’avenir dira si la croissance des bandes passantes à Marseille suscitera l’installationde chaînes de datacenters concurrentes.
Maquette du bâtiment MRS2 construit au sein d’une ancienne halle Freyssinet.
Maquette du MRS2 et du futur MRS3, qui totaliseront 13 000 m2 de datacenters.
Article paru dans L'Informaticien n°169.