Le crime organisé en Europe vient de subir un coup dur, avec de nombreuses arrestations et saisies en Suède, en Norvège, aux Pays-Bas ou encore au Royaume-Uni. Des opérations permises par les données collectées sur les serveurs d’EncroChat, un fournisseur de terminaux sécurisés à destination du grand banditisme.
Tout commence en 2017, quand les gendarmes français commencent à enquêter sur des téléphones sécurisés retrouvés aux cours de plusieurs opérations contre le crime organisé. Ces terminaux viennent d’EncroChat, décrit par Europol comme “l’un des plus grands fournisseurs de communications numériques chiffrées avec une part très élevée d'utilisateurs vraisemblablement impliqués dans des activités criminelles”.
On parle ici de “cryptotéléphones”, des terminaux mobiles vendus par EncroChat garantissant à l’utilisateur anonymat (“pas d'association d'appareil ou de carte SIM sur le compte du client, acquisition dans des conditions garantissant l'absence de traçabilité”) et discrétion (double système d’exploitation masquant l’interface chiffrée, pas de caméra ni de GPS). A cela il faut ajouter des fonctions très spécifiques, notamment la possibilité de supprimer toutes les données de l’appareil à distance, ou en entrant un code spécifique, ou encore en cas de tentatives répétées d’entrer un mot de passe erroné. “Les fonctions apparemment spécialement développées pour permettre d'effacer rapidement des messages compromettants, par exemple au moment de l'arrestation par la police”. Le tout à 1000 euros le terminal et 1500 euros l’abonnement de 6 mois, avec un support 24/7.
Selon Europol, ces téléphones étaient “particulièrement présents” dans les pays d’origine et de destination des trafics de cannabis et de cocaïne, ainsi que dans les centres de blanchiment d’argent. La police britannique estime le nombre d’utilisateurs des terminaux EncroChat à 60 000 à travers le monde, dont 10 000 en Grande Bretagne, le NCA (National Crime Agency) expliquant pour sa part enquêter depuis 2016 sur Encrochat.
Serveurs en France
Mais c’est en France qu’étaient localisés les serveurs opérés par ce fournisseur de services d’un genre particulier. En 2019, les forces de l’ordre françaises en appellent à Eurojust, l'Agence européenne de coopération en matière de justice pénale et s’adjoignent l’aide de leurs homologues des Pays-Bas en 2019. Est alors mis en place, il y a deux mois selon les autorités britanniques, “un dispositif technique permettant de contourner la technique de chiffrement et d’avoir accès à la correspondance des utilisateurs”. Ce nouveau développement dans l’enquête a ensuite conduit les autorités “à organiser le traitement des données, qui ont été saisies sur la base des dispositions du droit français et avec autorisation judiciaire”. Données partagées par le biais d’Europol.
Europol, les forces de l’ordre françaises et celles néerlandaises restent muettes quant à la nature de ce dispositif technique. Pour Loïc Guezo, Directeur de la Stratégie Cybersécurité chez Proofpoint pour la région SEMEA et secrétaire général du CLUSIF, il y a “plusieurs pistes”. “Celle qui semble se préciser est le développement d’un logiciel malveillant spécifique par les forces de police pour casser le chiffrement” ajoute-t-il, “quoique l’on ne connaisse pas le mode opératoire précis”. Mais peu importe la méthode, celle-ci a été efficace.
Enquête européenne
“L'enquête conjointe a permis d'intercepter, de partager et d'analyser des millions de messages échangés entre criminels pour planifier des délits graves. Pour une part importante, ces messages ont été lus par les forces de l'ordre en temps réel, par-dessus l'épaule des expéditeurs qui ne se doutaient de rien” écrit le NCA. Bilan : plusieurs coups de filets importants dans les milieux criminels en Europe, notamment aux Pays Bas, en Grande Bretagne, en Norvège et en Suède, à renforts de centaines d’arrestations, de saisies de drogues, d’armes, de voitures. Plusieurs kidnapping auraient également été évités grâce aux données collectées, à en croire la police britannique. La France, où 60 officiers de gendarmerie étaient mobilisés sur ce dossier, est restée silencieuse quant aux opérations menées sur la base de ces données.
Mais toutes les bonnes choses ont une fin. Le 13 juin, les personnes derrière EncroChat réalisent que leurs serveurs ont été compromis. Ils envoient alors un message à leurs utilisateurs les prévenant dans un message à l’anglais hésitant de l’intrusion et leur recommandant d’éteindre leurs terminaux et de s’en débarrasser. Depuis, les activités d’EncroChat ont définitivement stoppées, “leurs serveurs fermés”, selon le NCA. Cette opération est décrite par Europol comme “une source d'informations unique, donnant accès à des volumes sans précédent de nouvelles preuves pour s'attaquer en profondeur aux réseaux du crime organisé”. Pour Loïc Guézo, “nous ne sommes pas sur un sujet de cybercriminalité mais un sujet innovant d’emploi du cyber par les forces de police pour démanteler un réseau criminel bien réel”.