Depuis un an le «Digital Workplace», ou espace de travail numérique, tient le devant de la scène. Les circonstances l’ont mis au premier plan mais sa définition précise reste floue. Revue des différentes options et de l’état de l’art de ce nouvel outil.
Les grèves, puis le confinement dû à la pandémie du Covid-19, ont obligé les entreprises à se tourner vers des solutions de travail à distance. Après une période d’urgence, où elles ont fait comme elles ont pu, elles réfléchissent désormais à des solutions plus durables pour fournir des environnements de travail adaptés aux salariés opérant dans ce contexte distant.
Il suffit de réaliser une recherche sur votre browser favori pour voir qu’il en existe de nombreuses définitions. A minima, on peut le présenter comme l’environnement digital permettant à chaque collaborateur d’accéder à l’ensemble de ses informations de travail, aussi bien individuelles que collectives. Pour aller un peu plus loin, il représente le regroupement des technologies digitales mises à la disposition des collaborateurs d’une entreprise afin de favoriser le travail collaboratif et gagner en productivité.
Il doit englober l’ensemble des applications nécessaires à l’accomplissement des tâches dévolues aux salariés. Nos confrères du magazine Archimag comparent, dans un supplément très fouillé sur le sujet, le Digital Workplace à notre cher téléphone mobile, avec des applications activables à la demande et selon les besoins. Dans ce contexte, la personnalisation et l’adaptation sont donc des éléments importants.
Acteurs d’horizons divers
La confusion provient aussi du fait que les offres sur le marché sont issues d’acteurs de secteurs de l’industrie différents. On trouve des plates-formes provenant de la gestion de contenu, des ressources humaines, du collaboratif, de la communication unifiée, des portails, des suites bureautiques, des réseaux sociaux qu’ils soient d’entreprise ou non… Chacun met en avant les éléments sur ces points forts. Cela ne correspond pas forcément aux besoins de l’entreprise.
Il faut noter que les applications que vous fournissez sont le miroir de vos processus et de votre organisation du travail. Que cela soit réalisé à distance ne change pas cet état de fait. Il doit correspondre à votre organisation et à vos processus. Selon Andy Wilson, directeur en charge des nouveaux produits chez Dropbox « un modèle unique ne convient pas à tout le monde. Nous venons du monde du consommateur avec des outils simples de collaboration. Nous évoluons vers des produits plus sophistiqués de gestion de projet où nous gardons la volonté d’enlever la complexité.»
Transporter l’environnement de travail où on le souhaite
Le concept de pouvoir retrouver son environnement de travail dans des contextes mobiles ou distants n’est pas nouveau. Qui se souvient encore des stations SunRay de Sun Microsystems qui proposaient de pouvoir retrouver son environnement de travail n’importe où sur le réseau de l’entreprise après l’insertion d’une carte à puce dans un lecteur? Depuis il est apparu le VDI (Virtual Desktop Infrastructure), soit la possibilité de fournir l’environnement de travail en le dissociant de sa couche matérielle pour le proposer là où l’utilisateur le souhaite et sur le matériel de son choix. Cette option garde tout son intérêt du fait de la possibilité de conserver cette infrastructure à l’intérieur du centre de données de l’entreprise et de fournir juste l’accès distant aux salariés ou pour apporter la possibilité de travailler sur des applications métier spécifiques ou ayant du mal à être proposées par Internet. Une déclinaison de cette méthode est le Desktop as a Service qui propose cette infrastructure depuis le Cloud. Guillaume Reffet, chez Citrix, le qualifie de VDI 2.0. Pour lui « des publications d’applications ou de bureau peuvent couvrir une majorité des besoins rapidement pour se concentrer sur les principaux usages, l’expérience autour de ces applications. Ces solutions d’accès classiques répondent pour lui au 20% des applications les plus utilisées. Il cite des entreprises qui utilisent plus de deux cents applications. Cela représente déjà une part non négligeable de ce qu’il est possible de faire rapidement pour les applications de base.»
Une alternative est le bon vieux RDS (Remote Desktop Service) qui est un environnement permettant de mutualiser des ressources (serveur, RAM, Stockage…) pour plusieurs utilisateurs. Ce service leur permet de se connecter à leur bureau distant personnel via n’importe quel terminal compatible (PC, Mac, Linux, et même tablette). Le logiciel nécessaire à l’établissement de la connexion, désigné sous le nom de client RDS, est généralement disponible par défaut sur le périphérique de l’utilisateur (tablette, ordinateur…). L’intérêt de cette solution est une économie massive de ressources par rapport au VDI qui revient beaucoup plus cher pour des performances quasi-similaires quand les usages des différents utilisateurs sont semblables.
Il est aussi possible de juste proposer à distance les applications comme dans la solution de Terradici qui s’appuie sur PCoIP (PC over IP), un protocole qui ne fait que transmettre les informations sous forme de pixels. L’avantage est qu’aucune information ne quitte le centre de données ou le Cloud. Ce flux peut, de plus, être chiffré. VMware utilise aussi ce protocole qui est plus ou moins équivalent au RDP de Microsoft ou au HDX de Citrix. Nutanix indique dans un e-book que la solution DaaS peut proposer le même type de protection.
Marc Landwerlin, Enterprise Sales Director France chez Insight, constate dans les entreprises certaines réallocations de budget avec la revue des priorités mais que souvent elles ont fait avec ce qu’elles avaient déjà. Ainsi celles qui avaient déjà des postes en VDI ont ajouté des machines virtuelles et de la bande passante ou ont approfondi leur production sur la plate-forme de Citrix. « Elles ont limité les risques sur des plates-formes quelles connaissent bien.» Il insiste de plus sur la cohérence que doit avoir l’ensemble. Il constate aussi que les grands comptes ont fait ce travail. Ils trouvent les ETI «moins loquaces».
La sécurité au centre de la problématique
Au cours de la période récente, la sécurité est devenue évidemment une préoccupation majeure avec les attaques de rançongiciels. Celles-ci connaissaient un contexte très favorable avec une extension de la surface d’attaque, des utilisateurs parfois peu au fait des bonnes pratiques de protection et des connexions souvent mal sécurisées. De nombreuses attaques ont d’ailleurs utilisé le protocole RDP (Remote Desktop Protocol). Les chercheurs d’ESET, éditeur de solutions de sécurité, ont constaté une croissance de 768% des attaques par le RDP au cours de l’année 2020. Au total, ESET a détecté 29 milliards de tentatives d’attaques RDP au cours de l’année écoulée. Un accompagnement adapté et un cadre de règles de sécurité est donc un minimum pour déployer des environnements de travail numérique.
Faire accepter la nouvelle manière de travailler
Proposer un espace de travail numérique est bien : le faire accepter par les salariés et éviter qu’ils n’utilisent leurs propres outils (Shadow IT) est mieux. Dans notre chronique Tactic de ce mois-ci, nous discutons autour de ce problème lié au télétravail. Cela demande souvent de manager autrement en évitant les organisations par trop autoritaires et de s’inquiéter comment les salariés reçoivent, pour la plupart, ces nouveaux outils comme la visioconférence, la messagerie instantanée, une collaboration différente… Cela s’accompagne d’une nouvelle tendance autour de l’expérience employé.
Éric Marin, CTO de VMware, indique d’ailleurs que les projets les plus ambitieux dans le domaine chez les clients de VMware sont menés sous la houlette des départements des ressources humaines. Les buts sont souvent bien différents de ceux du service informatique, en particulier pour ce qui est de la collaboration. Pour Guillaume Reffet (Citrix), la collaboration est un point essentiel et il faut « prendre en charge ce type d’outils avec des accès directs vers les documents ». Selon Marc Landwerlin (Insight), cela doit apporter « ce qui me convient pour faire ce que je dois faire. Des personnes sont au centre de cela. L’engagement revient au centre et redynamise les cultures des entreprises ».
Au bilan, toutes les personnes interrogées sur le sujet prévoient qu’une forme hybride va se développer avec du télétravail et du présentiel. Selon Guillaume Reffet, 70 à 80% des entreprises inscrivent le télétravail dans la durée et ont souvent trouvé une solution acceptables à long terme et voient une utilisation partielle du télétravail sur la durée. « Cela peut être une solution de secours en cas de besoin de télétravail à 100 %.» Éric Marin (VMware) acquiesce et voit un rééquilibrage entre une vision centralisée et distribuée quel que soit l’endroit et le terminal utilisé. L’expérience utilisateur « doit être suffisante, à même de maintenir la productivité et cela ne passe pas par un empilement d’applications mais par un retour aux fondamentaux : quelles applications ? pour quel utilisateur ? »
Le complément du digital workplace
L’expérience employé devient le complément de la mise en œuvre d’un espace de travail numérique. Ces outils remontent l’ensemble des émotions et sentiments ressentis par un employé dans le cadre de sa relation avec son entreprise par analogie avec ce que réalise le CRM pour la relation client.
À l’instar du client heureux qui achète plus, l’employé heureux est aussi plus engagé et plus productif. Cette situation est cependant fragile et la moindre anicroche peut faire basculer le salarié dans une spirale négative. Estelle Villard, DG de Medallia en France, explique qu’il y a besoin « d’un endroit où s’aligne la culture et les valeurs de l’entreprise. Un endroit aussi où la voix du salarié peut être entendue et où ils expriment son ressenti ».
Ces ressentis et remontées peuvent être très différents selon les fonctions, ou le contexte… « L’erreur est souvent de traiter tous les salariés au même niveau. Il est nécessaire de recueillir les retours des salariés en les interrogeant correctement et le plus souvent possible. Il s’agit d’améliorer la motivation. Les tendances sont souvent plus précises sur des petits groupes. À partir de cela, il devient nécessaire de prendre des actions sinon cela ne sert à rien », ajoute-t-elle. Estelle Villard met en perspective la possibilité de rassembler les retours des clients et des employés pour se rendre compte du lien entre les deux. Elle résume ainsi ce que réalise Medallia : « Notre outil prend le pouls en temps réel et aide à discerner des signaux faibles que la visioconférence ou d’autres outils n’apportent pas.» Un élément important alors que les demandes des salariés évoluent rapidement.
Dans une étude réalisée pour le compte de Fuze, 89% des salariés interrogés estiment que la flexibilité devrait être la règle et non l’exception : 73% travaillent en dehors des horaires contractuels parce que plus productifs dans ces moments-là. Pour Estelle Villard, un dialogue sincère et ouvert est la clé de tout, sans obligation de répondre ou de répondre à côté. «Il faut laisser la place au non-dit!» Il est possible aussi, comme vient de le faire Cisco Webex, d’ajouter des éléments de reconnaissance de geste ou d’attitude, de ton de la voix… si le salarié l’accepte.
Des approches différentes
Nexthink est un autre acteur proposant une plate-forme d’expérience employé. Son approche est totalement différente et vise à partir du salarié à construire l’infrastructure pour lui et ses besoins. L’outil intègre une chatbox pour automatiser le self-service auprès des salariés. Par intégration il est possible, à partir du ticket du salarié, de lancer un agent virtuel dans un autre logiciel pour analyser le problème soulevé et de déclencher une remédiation. Les remontées dans le système fournissent des rapports synthétiques sur l’expérience des employés : ce qu’ils utilisent, quand ils l’utilisent… Un module d’optimisation va apporter un aspect proactif en analysant l’expérience employé pour éviter des problèmes à venir. Cela comprend aussi un outil de sondage et d’analyse des retours des employés. Dans l’étude précitée, 38% des personnes interrogées indiquent ne pas avoir d’outils performants pour réaliser leur travail quotidien.
Éviter le flicage
« Il faut voir notre outil comme un outil de démocratisation de l’information. Évidemment, il est possible que cela le devienne, mais ce n’est pas le but. C’est aussi un atout pour les salariés qui peuvent ainsi démontrer que le problème, ce n’est pas eux », explique Estelle Villard. « Les rapports remontent haut dans la hiérarchie de l’entreprise. Nous accompagnons les clients en leur donnant des idées pour faire adopter le produit et une conduite du changement est nécessaire.»
Communiquer cette culture de manière claire et ouverte dès qu’une occasion se présente. Permettre aux employés de définir eux-mêmes la culture ne suffit plus. Les entreprises doivent plutôt s’efforcer de faire appliquer leur culture et d’insuffler le bon état d’esprit à travers tout ce qu’elles font. En adoptant une stratégie qui met les collaborateurs en avant, elles veilleront à ce que leurs employés disposent des outils, de la formation et du mode de travail adaptés à leurs besoins. Un bon état d’esprit lié à des technologies adéquates permet aux entreprises de renforcer leur culture et d’intégrer plus facilement leurs collaborateurs présents aux quatre coins du monde.
En réalité, même en travaillant à différents moments de la journée et dans des lieux distincts, le collaborateur maintient la communication avec son équipe. Ce dernier se voit comme un individu autonome mais capable aussi de cultiver les interactions sociales et la collaboration au sein des équipes. La conséquence est souvent d’avoir à changer radicalement la méthode de management et les processus de l’organisation.
Dans un post récent sur LinkedIn, Bertrand Duperrin, dirigeant de Emakina France, conférencier et blogueur (duperrin.com), indiquait que les salariés étaient confrontés aux problèmes tous les jours et les plus à même de les signaler et d’aider à les résoudre. Il allait jusqu’à proposer un «service employé» à l’image du service client.
La Banque du Caire se transforme avec l’expérience employé
La Banque du Caire est une institution financière majeure en Égypte et dans des pays de l’Est africain. Elle s’est engagée dans une transformation par un programme sur trois ans pour apporter un service client de meilleure qualité. Hesham Daabes, le DSI de la banque précise : « Les nouvelles interactions avec les clients ont changé la culture interne et les employés devaient adapter leurs compétences à ces nouveaux processus.» La transformation vise à faire de l’institution une banque omnicanale avec des interactions numériques avec les clients. La prochaine étape de ce plan est d’améliorer l’engagement du client par l’analytique. Nexthink intervient dans ce programme pour simplifier la vie des employés et apporter une visibilité sur les outils employés afin d’apporter la même expérience à chaque client et résoudre proactivement les problèmes.
La mise en œuvre a démarré avec la création de profils standard à partir des besoins et de ce qui est réellement utilisé par les employés. La solution a permis ainsi de réduire les coûts de licence et de ne pas conserver des licences peu utilisées pour des fonctions spécifiques. Des rapports sont fournis aux employés sur l’utilisation de leur poste ou ce qui se passe au niveau du service desk. Ainsi les salariés sont au courant du temps d’indisponibilité ou du nombre de PC à problème. La solution donne ici de la transparence sur ce qui est utilisé et ce qui doit être changé. La première conséquence a été la baisse du nombre de mails et d’ouverture de tickets vers le support.
Il a ainsi été permis d’accompagner les employés dans l’acquisition des nouvelles compétences nécessaires à l’exécution de leur nouvelle forme de travail.