Pas question de parler ici de cryptomonnaie, la BCE l’interdit. L’estcoin sera un jeton émis par l’Estonie. Reste à savoir s’il servira pour les e-residents de l’État balte à accéder à des services ou à fournir la preuve de leur e-identité. Ce ne sont là que deux options étudiées : la troisième va faire hurler Mario Draghi.
L’Estonie est réputée pour son amour du numérique et généralement applaudie pour ses innovations. Cependant quand Kaspar Korjus, le patron du programme e-Residency, a suggéré la création d’une crypto-monnaie émise par l’État estonien, le sang du gouverneur de la Banque Centrale Européenne n’a fait qu’un tour. N’a-t-il pas formellement défendu aux pays membres de la zone euro d’émettre une monnaie virtuelle ? Kaspar Krojus s’explique, insistant sur le fait que l’estcoin ne sera pas une crypto-monnaie mais un crypto-token, un jeton similaire à ceux émis lors des ICO.
Voilà qui peut rassurer la BCE. Le directeur du programme gouvernemental estonien indique dans un long billet de blog explorer trois pistes pour ce jeton. Première d’entre elles, faire de l’estcoin une corollaire de l’e-Residency. Le token serait en quelque sorte une récompense pour les e-residents les plus enthousiastes et les plus actifs. Ceux « produisant du contenu à propos de leurs expériences [d’e-résidents] ou encourageant d’autres à s’inscrire » pourraient donc voir leurs efforts gratifiés de quelques tokens.
Récompenses
Mais quelle sera alors l’utilité desdits jetons pour les membres de cette communauté d’e-residents ? L’accès à des services supplémentaires est une option envisagée par Kaspar Korjus, qui entrevoit la possibilité que ces estcoins puissent être échangés contre des monnaies réelles ou virtuelles. Les poils de certains à Francfort se hérissent déjà. Mais l’Estonien se veut rassurant : « mais il est probable qu'il y aura une période de verrouillage pour décourager les spéculateurs lors de l’ICO et s'assurer que les détenteurs d'estcoin tirent profit de la croissance à long terme de notre nation numérique ».
Autre possibilité : « et si nous commencions aussi à utiliser la technologie blockchain pour « tokeniser » les identités ? ». Ou plus simplement utiliser la blockchain pour « signer numériquement des documents, se connecter à des services ou appliquer des contrats intelligents », l’estcoin étant alors le jeton permettant d’y procéder. Cet « estcoin d’identité » ne pourrait être ni échangé ni vendu, puisqu’il identifie en ligne son propriétaire. « En fait, ce modèle d'estcoin pourrait même permettre à nos partenaires de la police et des gardes-frontières de révoquer des jetons dans certaines circonstances où des lois ont été enfreintes par un e-résident » explique Kaspar Korjus.
Identité tokenisée
L’avantage de ce système est qu’il améliore la robustesse et la sécurité de l’infrastructure derrière les cartes d’identité électroniques des e-résidents et des citoyens estoniens. Kaspar Krojus explique que le dispositif actuel de cartes d’identité électronique a récemment été affecté d’un problème de certificats, obligeant l’équipe de ce programme à entreprendre de grandes manœuvres pour obtenir de nouveaux certificats et éviter que les cartes d’identité dématérialisées soient compromises. Grâce à la blockchain, tous ces processus seraient bien plus fluides et transparents, insiste le directeur du programme e-Residency.
Vient enfin l’ultime proposition. Indexer cet estcoin sur l’euro. « Nous ne fournirions jamais une monnaie alternative à l'euro, mais il est possible que nous puissions combiner certains des avantages décentralisés de la crypto avec la stabilité et la confiance de la monnaie fiduciaire, puis en limiter l'utilisation au sein de la communauté des e-résidents » tente à nouveau de rassurer Kaspar Korjus. Et avant qu’on ait eu le temps d’entendre un hurlement s’élever de la tour de la BCE, la banque centrale estonienne a mis le holà à cette idée. Une proposition « difficile à comprendre », un principe « problématique », estime la porte-parole de la banque centrale du pays balte.
Esteurocoin
« Pour autant que nous sachions, il ne s'agit pas de propositions du gouvernement, nous n'avons pas été consultés lors de leur préparation » ajoute-t-elle. De son côté, Kaspar Korjus explique que cette option simplifierait la vie des e-residents. Les échanges pourraient avoir lieu en dehors du cadre contraignant des banques. Les e-résidents pourraient acheter des estcoins-euro puis les échanger avec d'autres e-résidents et les retirer si nécessaire, tout en s'assurant que toutes les règles bancaires et fiscales nécessaires sont respectées. « Tout ce qui est requis est un portefeuille numérique et l'engagement du gouvernement à racheter chaque estcoin pour un euro » soutient-il, promettant que nous en saurions plus au début de l’année prochaine.