par AFP, le 25 novembre 2020 23:52
Les jeux en ligne peuvent servir à propager des idéologies extrémistes et même à préparer des attentats, alerte le coordinateur de l'UE pour la lutte contre le terrorisme Gilles de Kerchove dans un entretien à l'AFP, prônant une réponse européenne.
Alors que la Commission européenne doit présenter le 9 décembre un projet de législation, le "Digital Services Act", pour mieux encadrer les plateformes numériques et lutter notamment contre la haine en ligne sur les réseaux sociaux, les jeux restent un "domaine sous-régulé", juge-t-il.
"Je ne dis pas que tout le domaine du jeu est problématique, il y a deux milliards de personnes qui jouent en ligne et c'est très bien", précise le responsable, chargé de faire des propositions au niveau européen en matière de lutte antiterroriste.
Mais le Belge pointe du doigt "des groupes d'extrême droite en Allemagne qui ont développé des jeux consistant à tirer sur des Arabes, sur (l'homme d'affaires juif américain d'origine hongroise George) Soros, sur Mme Merkel pour sa politique migratoire, etc.".
"Cela peut à la fois être un moyen pour propager de l'idéologie d'extrême droite notamment, mais pas uniquement, un moyen de blanchir de l'argent (...) il y a des monnaies générées par les jeux, et qui peuvent être échangées en monnaie fiduciaire", explique le responsable de 64 ans, en fonctions depuis 2007.
"Cela peut être un moyen de communication, c'est chiffré, et aussi un moyen de tester des scénarios d'attaque", ajoute-t-il. La Commission devrait l'évoquer dans un agenda antiterroriste qu'elle présentera également le 9 décembre.
- Problème des algorithmes -
Il faut "discuter avec les sociétés qui développent ces jeux" pour voir "comment resserrer les mailles" pour éviter ces dangers, poursuit Gilles de Kerchove, précisant avoir eu récemment des contacts avec ses homologues américains qui "commencent à travailler" sur ce sujet.
Le responsable met aussi en cause le rôle des "algorithmes d'amplification" de plateformes comme Facebook et YouTube dans la diffusion de contenus "problématiques", "borderline". Une question auquel l'exécutif européen va s'attaquer dans le Digital Services Act en réclamant plus de transparence de la part des géants du numérique.
Une proposition de règlement est par ailleurs en discussion entre eurodéputés et Etats membres pour permettre le retrait dans l'heure des contenus à caractère terroriste.
La lutte antiterroriste est revenue en haut de l'agenda européen après les attentats jihadistes récents en France et en Autriche. Elle sera au menu du prochain sommet les 10 et 11 décembre.
Autre sujet de préoccupation: l'accès de la police à des communications cryptées, avec l'essor de messageries comme Signal, Telegram, Whatsapp.
La question soulève les inquiétudes des défenseurs des libertés publiques et du respect de la vie privée. "Personne à Bruxelles ne souhaite diminuer le chiffrement, au contraire", assure Gilles de Kerchove, soulignant notamment l'importance de protéger les communications d'opposants ou de journalistes dans des régimes autoritaires.
- Eviter une crise sécuritaire -
Mais "est-il normal qu'on ne puisse pas identifier qui est derrière une adresse IP qui met des photos pédopornographiques? Comment expliquer que la police puisse intercepter un SMS mais pas le même contenu quand c'est un message Whatsapp? Où est la logique?", interroge-t-il.
Il propose d'inclure dans le Digital Services Act "une disposition prévoyant que quand la loi l'autorise, quand un juge l'autorise, les sociétés (de messagerie) doivent pouvoir donner le contenu de manière lisible, déchiffrée, en laissant à ces sociétés le soin de le faire", dit-il. "Parce que si vous faites circuler les clés de déchiffrement, effectivement vous affaiblissez le chiffrement".
Sur la même ligne, les responsables de la justice des Etats-Unis, du Royaume-Uni, de l'Australie, du Canada et de la Nouvelle-Zélande ont appelé en octobre les compagnies de la tech à permettre à la police d'accéder à ces applications "dans un format lisible et utilisable".
Le "M. antiterrorisme" de l'UE plaide aussi pour des investissements dans un "hub d'innovation" créé au sein d'Europol, destiné à évaluer les menaces que font peser sur la sécurité des Européens les nouvelles technologies (robots, intelligence artificielle...) mais aussi à "tirer le maximum de ces technologies" et à ne pas dépendre de pays tiers.
Si la pandémie de Covid-19 n'a pas eu une "conséquence directe sur l'activité terroriste", Gilles de Kerchove relève qu'une aggravation de la crise serait "propice à la radicalisation". "Il faut éviter que cela devienne une crise sécuritaire, qu'on commence à assécher les budgets pour la sécurité", avertit-il.
Source : AFP - Anne-Laure MONDESERT