Qu’elle est épineuse, cette question du droit à l’oubli. Pour la deuxième fois cette année, le Conseil d’Etat botte en touche et demande à la CJUE qu’elle livre son interprétation de sa décision de 2014, cette fois-ci sur la portée extra-territoriale du texte.
Bis repetita : pour la deuxième fois en l’espace de quelques mois, le Conseil d’Etat botte en touche sur la question du droit à l’oubli et renvoie la balle à la CJUE. Déjà au début de l’année la juridiction suprême française en appelait aux lumières des juges européens afin qu’ils explicitent les critères décidant de la légitimité ou non d’un déréférencement.
Dans son arrêt du 13 mai 2014, la CJUE introduisait en droit une obligation de déréférencement pour les éditeurs de moteur de recherche. Certains défenseurs de la vie privée applaudissaient des deux mains, quand d’autres, férus de libertés en ligne, montraient les crocs face à une jurisprudence attentatoire. Mais les uns comme les autres exprimaient des doutes sur ce « droit à l’oubli » tant la portée du texte de la CJUE est floue.
La Cnil dans son droit
Et depuis, on n’en finit plus de ramer. Google et notre Cnil nationale s’écharpent sur l’interprétation qu’il faut faire de cette décision, un combat qui termine devant le Conseil d’Etat après la sanction prononcé par le gendarme des données personnelles à l’encontre du moteur de recherche. Mais loin d’en finir avec cette histoire, les magistrats se heurtent à ces mêmes questions d’interprétation.
En résumé, la Cnil considère que la redirection automatique d’une recherche sur google.com vers une extension locale n’empêche pas l’internaute d’effectuer une recherche sur un autre nom de domaine que celui de son pays. De ce fait, le déréférencement devrait être effectué à l’échelle mondiale. Hérésie !, hurle Google et ses soutiens, la loi n’est pas la même dans tous les pays. Ce faisant, la Cnil s’arroge des prérogatives contraires à la non-ingérence prônée par le droit internationale et porte « une atteinte disproportionnée aux libertés d’expression, d’information, de communication ».
Quelle portée ?
Sur ce point, le Conseil d’Etat rejoint en substance l’avis de la Cnil, considérant que le moteur de recherche est bien un système de traitement de données à caractère personnel unique. « Indépendamment de sa localisation, il reste loisible à l’internaute d’effectuer ses recherches sur les autres noms de domaine du moteur de recherche », soulignent les juges, ajoutant que les bases de données et l’indexation sont communes. Ainsi, et puisque Google dispose en France d’activités de promotion et de vente des espaces publicitaires par sa filiale Google France, le géant tombe bien sous le coup de la loi Informatique et Libertés de 1978.
C’est sur la portée géographique du texte de la CJUE que ça se complique, le Conseil d’Etat bottant encore en touche. Il pose trois questions à la Cour européenne, dont les réponses seront déterminantes pour l’application future du droit à l’oubli. Les magistrats français demandent si le droit à l’oubli implique du déréférencement qu’il soit réalisé « sur l’ensemble des noms de domaine de son moteur de telle sorte que les liens litigieux n’apparaissent plus quel que soit le lieu à partir duquel la recherche lancée sur le nom du demandeur est effectuée ».
Si la CJUE répond par l’affirmative : problème réglé et que roule la Cnil ! Mais dans le cas inverse, les choses vont encore un peu plus se corser et le Conseil d’Etat va jusqu’à se questionner sur la portée intra-européenne du déréférencement. Le déréférencement doit-il s’appliquer uniquement au nom de domaine de l’Etat où la demande a été effectuée ou bien sur l’ensemble des extensions nationales des Etats-membres. De même, le déréférencement par géoblocage d’une IP concerne-t-il uniquement une IP « réputée localisée dans l’Etat de résidence du bénéficiaire du droit au déréférencement » ou toute IP localisée sur le territoire de l’UE.