AI, AI, Aïe !

 

L’Artificial Intelligence (AI) est devenue le pont-aux-ânes des éditeurs de logiciels. Que de promesses derrière ces deux lettres ! D’un coup d’algorithme magique, les données de l’entreprise vont enfin trouver un sens et éclairer l’utilisateur dans sa prochaine action à prendre.

Beaucoup s’interrogent déjà sur l’utilité de cet humain qui réalise l’action suivant les préconisations de l’algorithme. Au mieux, comme Infor et sa plate-forme Coleman, celui-ci va réaliser les tâches répétitives à faible valeur ajoutée pour décharger l’humain des tâches fastidieuses. De quoi entrevoir la fin d’un taylorisme aujourd’hui de mauvais aloi car trop attaché à un monde industriel en voie de disparition.

L’AI omniprésente

Dans une de ses sorties coutumières, le cabinet Gartner, grand oracle de notre temps technologique, prévoit que tous les logiciels en 2020 auront besoin, ou auront un composant d’Intelligence artificielle. Les éditeurs suivraient en cela les demandes de leurs bien-aimés clients : 30 % des directeurs informatiques ajouteraient l’Intelligence artificielle dans la liste de leurs priorités, convaincus qu’ils sont par le marketing agressif de notre industrie, que les humains et la machine vont faire mieux, plus vite, ensemble. Bref, un employé modèle encore plus productif et surtout ne faisant pas d’erreurs, et ce, en un temps record, permettant ainsi de raccourcir les cycles, donc d’augmenter la productivité à nombre de salariés égal sur un processus automatisé. Les dollars affleurent dans la rétine de tous les dirigeants de la Planète avec cette promesse ! Dans une étude pour IBM, 50 % des 6 000 répondants indiquent leur volonté d’adopter des solutions intégrant de l’intelligence artificielle à l’horizon 2019. Ils espèrent un RoI (Return on Investment) de 15 %.

BPI France estime le marché de l’AI à 11 milliards de dollars en 2024 avec trois pays leaders, la Chine, les États- Unis et la Corée du Sud. Plus de la moitié des start-up dans le domaine sont américaines.

L’AI pour faire quoi ?

Aujourd’hui, ce sont plus de 1 000 éditeurs qui indiquent vendre ou avoir dans leur logiciel des composants d’intelligence artificielle sans trop définir ce que fait réellement cette intelligence artificielle et comment elle diffère de l’intelligence du concurrent. Qui peut faire la différence entre les AI des uns et des autres ?

La confusion est largement entretenue et a déjà des conséquences sur les achats des entreprises clientes de notre industrie. En effet, quelle différence faites-vous entre apprentissage machine, apprentissage profond, apprentissage supervisé, apprentissage en réseau, apprentissage par transfert, vision par ordinateur, NLP, véhicule autonome, bots, robotique ? Tous ces éléments répondent-ils aux mêmes utilisations ? De plus, quand tout le monde aura de l’intelligence artificielle, comment se fera la différenciation métier d’une entreprise à l’autre ? Chacune aura optimisé sa logistique et son service client et vous proposera le meilleur produit au meilleur moment sur le canal de vente qui vous siéra le mieux. À terme, l’intelligence artificielle ne sera donc pas un avantage compétitif pour l’entreprise ou ne sera pas suffisante pour devenir un « plus business » dans le merveilleux jargon de nos marketeux.

Un exemple est utile dans ce domaine. La plupart des sites, de la Fnac à Amazon, ont déjà des types de recommandations d’achats : lorsque quelqu’un achète tel ou tel livre ou tel produit, il achète aussi ceci et cela. Superbe ! Combien de fois avez-vous consommé suivant ces préconisations ? Même s’il ne faut jamais dire jamais, la plupart du temps ces propositions vous semblent totalement inintéressantes, voire ridicules…

Généralement, les éditeurs ne répondent pas lorsqu’on les interroge sur le sujet des algorithmes. Si on creuse un peu le sujet, ce ne sont que des algorithmes open source retravaillés pour obtenir une solution rapide. La valeur ajoutée de l’éditeur est assez faible, mais il espère faire beaucoup de marge en vendant très cher son logiciel, et son AI embarquée !

Les exemples d’applications actuelles ne soulèvent cependant pas l’enthousiasme et restent limités. Reconnaissance de documents ou de factures pour la gestion des notes de frais, propositions d’actions dans le processus de vente, automatisation de certaines tâches répétitives, comme remplir automatiquement les champs d’une fiche client. Entre les promesses marketing et la réalité des usages, il y a loin ! On ne reviendra pas sur le moteur de bot de Microsoft devenu nazi et/ou raciste en moins de trois jours, ou Google Shopping, dont les biais étaient si visibles que même certaines autorités s’en sont émues. Oublions l’application Post Bac des lycéens français qui vient de montrer ses limites pour la prochaine rentrée universitaire.

Le manque de compétences

Autre frein, dans les entreprises face à l’intelligence artificielle, le faible nombre de personnes capables de faire la différence et de juger de la fiabilité des algorithmes. Un côté boîte noire existe dans le domaine et il est souvent difficile d’expliquer comment l’algorithme a obtenu le résultat, ou amené à proposer telle recommandation. C’est le meilleur des cas ! Il arrive parfois que les résultats diffèrent et là c’est plus embêtant ! Les entreprises, de ce fait, choisissent plutôt des solutions embarquées dans les logiciels et ne développent pas des solutions personnalisées répondant à leurs simples besoins. Le problème est si important que le Conseil national du numérique a été saisi pour réfléchir à un outil grand public capable de renseigner les mauvaises expériences rencontrées par des utilisateurs avec des algorithmes, et que l’Inria a développé une plate-forme, Transalgo, pour tester la loyauté des algorithmes ; c’est-à-dire délivrant au consommateur des informations « loyales, claires et transparentes ». Une régulation devrait se mettre en place dans les années à venir. Elle est réclamée par des gens comme Elon Musk ou d’autres.

Au-delà du buzz marketing, les éditeurs vont devoir balayer devant leurs portes en expliquant réellement ce que font leurs algorithmes et pour quels cas ils sont pertinents. À défaut ils risquent de beaucoup décevoir les entreprises et de se retrouver après le hype dans la vallée de la désolation, recréant une fois de plus le cycle de vie des technologies cher au Gartner. Presque de l’autoréalisation de l’échec !

Article publié dans le n°160 de L'Informaticien.