Vous pensiez l’orage passé ? La crise semble reprendre de plus belle au sein de Wikimédia France. Un des membres du conseil scientifique pointe du doigt le harcèlement dont ont été victimes plusieurs membres du conseil d’administration et la passivité de la Wikimedia Foundation.
L’été a été difficile pour Wikimédia France. Certains bénévoles débattaient vivement de la baisse de 50% de la subvention accordée à l'association française par la Fondation, des membres du conseil d’administration démissionnaient, des fils de discussion étaient fermés, une assemblée générale extraordinaire convoquée… Sans qu’on sache réellement ce qu’il se passait au sein de la branche française de la Wikimedia Foundation. Seule certitude : la directrice exécutive, Nathalie Martin, se trouvait au cœur du conflit.
« Rien n’expliquait la baisse de la subvention au printemps 2017 » nous explique Nathalie Martin, qui y voit « une vengeance personnelle ». Mais cette réduction de la contribution de la Wikimedia Foundation a donné, selon l’ancienne directrice exécutive « l’opportunité à certaines personnes de tenter de se faire élire » au conseil d’administration de Wikimédia France. S'ensuit une vive crise interne. Nathalie Martin dénonçait harcèlement et calomnies de la part de « quelques personnes ». Après sa démission début septembre, plusieurs cadres de l’association expliquaient à nos confrères du Monde que la situation s’apaisait. « Nous rentrons dans une phase post-crise, d’écoute et de dialogue », soutenait Pierre-Yves Beaudouin, nouveau membre du conseil d’administration.
De la critique au harcèlement
Jusqu’à ce post de Rémi Mathis, historien et membre du conseil scientifique de Wikimédia France, sur Medium ce matin. « J’ai décidé de quitter Wikimédia France — après y avoir oeuvré plus de huit ans, cinq au conseil d’administration, trois comme président, trois au conseil scientifique » commence-t-il dans son long billet. La raison de son départ : des « événements graves » survenus ces derniers mois. Il explique que Nathalie Martin a fait l’objet d’une campagne de dénigrement, « des accusations publiques, souvent très graves, souvent diffamatoires, parfois sexistes et parfois ordurières ont été portées en public ».
Rémi Mathis
« Sur les réseaux sociaux, une logique de meute s’est mise en place, harcelant les membres du CA » qui prenaient sa défense, écrit-il. Une meute dont font partie selon lui certains membres en vue de l’association (il désigne Pierre-Yves Beaudouin comme un des « agitateurs »). Quant à la Foundation, le Wikimedia américain chapeautant plus ou moins les ramifications locales (financièrement notamment), « cet épisode pose surtout la question de son rôle et de ses responsabilités ».
D’une part, la Foundation aurait « mené un jeu dangereux d’ingérence et de déstabilisation de Wikimédia France ». Il faut en effet souligner que, officiellement suite à la crise interne, Wikimédia France s’est vue sucrer la moitié de sa subvention. Or concernant les plaintes pour harcèlement déposées par Nathalie Martin (trois plaintes visant une douzaine de personnes), la Foundation s’est montrée « plus inquiète des actions judiciaires engagées par les victimes pour se protéger que par la violence des bourreaux ». Les dirigeants de la fondation ont fait la sourde oreille, quand bien même Rémi Mathis explique avoir été jusqu’à écrire à Jimmy Wales lui-même.
La Foundation au mieux passive
D’autre part, le président de Wikimedia Foundation est un certain Christophe Henner. Ancien directeur marketing puis directeur adjoint de Webedia (groupe dont fait partie le site jeux-video.com, qui a connu des « soucis » de sexisme et de harcèlement), il a occupé la présidence de Wikimédia France entre octobre 2014 et mai 2016. Il était alors l’employeur de Nathalie Martin, laquelle a déposé une plainte à son encontre pour harcèlement cet été (plainte en attente de qualification par le juge), note Rémi Mathis, ce qui « aurait dû inciter à une grande prudence ».
« La communication de la Foundation ne peut nous rendre que plus circonspect si elle considère comme une garantie suffisante une enquête non-indépendante… qui n’a même pas cherché à entendre la plaignante et victime présumée » déplore-t-il, dénonçant un comportement « à l’opposé du discours marketing [de la fondation] d’inclusivité et de féminisme ».
Et de signaler qu’en « cas de condamnation judiciaire, une nouvelle crise est donc à prévoir (sauf à légitimer la violence et le harcèlement) ». Au moins trois autres membres du conseil scientifique de Wikimédia France ont quitté l’association dans la foulée : le conservateur Laurent Le Bon, le chercheur et journaliste Frédéric Martel ainsi que le mathématicien (et député LREM) Cédric Villani.
(Article corrigé le 6 novembre 2017 suite à la réponse de Mme Nathalie Martin)