La FCC enterre la neutralité du net

Les FAI américains pourront bloquer, censurer, limiter, discriminer et favoriser à leur guise, tant qu’ils restent transparents sur leurs abus. Entre brouillon d’accord signé à la dernière minute avec la FTC et promesse sur la capacité des opérateurs à s’autoréguler, on ne peut s’attendre qu’à une chose : le pire.

Sans la moindre surprise, le décret « To Restore The Internet Freedom » a été adopté par la Federal Communications Commission, par trois voix contre deux. Adieu les « common services » de l’Internet mobile et fixe : on revient aux bonnes vieilles classifications. La FCC abandonne en outre tout pouvoir de contrôle et de sanction des FAI, préférant une prérogative ô combien supérieure. Le régulateur pourra désormais enjoindre les fournisseurs d’accès à la transparence sur leurs pratiques, sur les blocages, les limitations de débit, les passe-droits accordés à ceux qui payent plus…

A moins d’un rebondissement de dernier instant, c’en est donc fini de la neutralité du net aux Etats-Unis. « Soyons absolument clairs. Après le vote d'aujourd'hui, les Américains pourront toujours accéder aux sites Web qu'ils veulent visiter. Ils pourront toujours profiter des services dont ils veulent profiter » assure Ajit Pai, le patron de la FCC. « Il y aura toujours des flics sur le qui-vive gardant un Internet libre et ouvert ».

Les FAI, des entreprises que les Américains adorent (détester)

Surtout le texte compte sur les FAI pour s’auto-réguler et éviter de commettre des abus. Mais Jessica Rosenworcel, commissaire de l’instance de « régulation » des télécoms opposée au texte, voit les choses autrement. « Nos fournisseurs d'accès à Internet vont obtenir de notre agence un nouveau pouvoir extraordinaire » écrit-elle. « Maintenant, ils vous diront qu'ils ne feront jamais ces choses [bloquer, dicriminer, etc...]. Mais sachez ceci: ils ont la capacité technique et l'incitation commerciale à discriminer et manipuler votre trafic Internet. Et maintenant, cette agence leur donne le feu vert légal pour aller de l'avant et le faire ».

D’autres, la mairie de New York, l’Electronic Frontier Foundation, des sénateurs ou encore des juristes, ont appelé début décembre la FTC à retarder ce vote. Ils mettent en avant un « léger souci » susceptible de mettre à mal le texte : le champ des compétences de la Federal Trade Commission. Revenons un peu en arrière… La réglementation de 2015 mettait sur le même plan les services de téléphonie mobile et les services Internet fixe : tous deux étaient considérés dès lors comme des « common carriers » sur lesquels la FTC n’a pas compétence. C’est à la FCC de s’en charger.

Sur les (in)compétences de chacun

Mais l’année précédente (en 2014 donc), la FTC attaquait justement en justice AT&T sur son activité Internet. Malgré une victoire du régulateur en premier instance, une cour d’appel a ensuite donné raison à AT&T, celui-ci avançant qu’étant un opérateur fixe et mobile, ce n’est pas à la FTC de le sanctionner. Le gendarme américain du commerce fait à son tour appel, et l’affaire attend toujours son verdict, sans tenir compte de la réglementation de 2015 qui n’est pas rétroactive.

Problème : si le texte proposé par Ajit Pai devait être voté, les services Internet fixe retomberaient dans le champ des prérogatives de la FTC… jusqu’au verdict du tribunal statuant sur l’affaire FTT vs. AT&T. Car si la décision devait être en faveur de l’opérateur, les services Internet tomberaient dans un vide juridique, ni la FCC ni la FTC n’étant alors compétents.

Accord brouillon

Mais nos deux larrons ont trouvé une solution. La FTC et la FCC ont signé un brouillon d’accord définissant les rôles de chacun (un conseil, asseyez-vous avant de lire ce qui suit). Le régulateur des télécoms pourra examiner les plaintes des concurrents et des consommateurs et déterminer s’il s’agit bien de mauvaises pratiques des FAI. Le gendarme du commerce pourra faire… exactement la même chose.

Et si les abus sont prouvés, les deux régulateurs pourront sanctionner les mauvais élèves en exigeant d’eux qu’ils communiquent sur leurs mauvaises pratiques… et c’est à peu près tout. Au pire il sera (gentiment) demandé au FAI de régler le problème. Reprenons cette phrase mémorable de The Verge : « l'idée selon laquelle les FAI vont s’autoréguler serait hilarante si elle n'était qu'une blague et non la politique du gouvernement américain ».