Destination danger !


Cette chronique n’est en aucun cas un moment de nostalgie pour une série télévisée des années 60, où un espion de sa Majesté, John Drake, sauvait le monde à chaque épisode. Elle serait plutôt une réaction exaspérée à l’attitude de l’industrie informatique qui commence à prendre les services informatiques des entreprises pour des agences de voyages.

Les premiers tickets sont évidemment pour tous ceux qui s’engagent dans le long trek de la transformation numérique. Comme ces voyages exotiques où il faut faire beaucoup d’efforts ; le chemin est long, très dur et raide est la pente à gravir. Mais tout cela est nécessaire si l’entreprise ne veut pas se faire prendre sa place par de nouveaux entrants au paquetage plus léger et avançant plus vite de ce fait. Plus classique, mais tout aussi sidéral, le voyage vers le Cloud, entendez le Cloud public. La balade dans son propre jardin, le Cloud privé, n’est plus d’un grand intérêt car pratiqué par bien trop d’entreprises. Pour pimenter la chose, il sera même possible de réserver des places pour différents Clouds en même temps, ou d’organiser un voyage avec de multiples changements pour aller de Cloud à Cloud selon vos envies. Eh oui, l’herbe reste toujours verte dans le champ d’à côté !

Un chemin semé d’embûches

Moins physique, le voyage vers l’automatisation et l’Intelligence artificielle demandera là aussi de sacrées qualités pour parvenir à destination. Quel que soit le moyen de locomotion choisi, l’entreprise, et surtout les DSI, doivent être prêts à faire leur valise en cas d’échec de leur voyage.

Il n’y a pas que les grèves d’Air France ou de la SNCF pour freiner l’élan des entreprises dans ces multiples chemins de villégiature. Tout d’abord, les budgets alloués ne vont certainement pas aller en grandissant, limitant les possibilités des entreprises. C’est toujours moins confortable de voyager en classe économie qu’en classe affaires et l’industrie informatique l’a bien compris. Elle va pouvoir à chaque étape de la déambulation vous proposer de nouveaux produits toujours plus attrayants en vous promettant que cela va accélérer votre voyage vers la destination finale. Mais il n’est pas sûr que cela soit réellement ce dont vous ayez besoin pour réussir votre voyage.

Le but ultime est d’être présent à où est le client. Ce dernier a changé ses habitudes et se présente le plus souvent en position de mobilité en utilisant des usages en ligne pour de plus en plus souscrire à des services. En conséquence, les entreprises ont recours à différentes technologies comme le Cloud, l’analytique pour offrir au client la possibilité de choisir les différents canaux de sa relation avec l’entreprise.

Derrière tout cela, un mot émerge, l’agilité ou la flexibilité. L’entreprise doit pouvoir s’adapter et offrir toutes les solutions possibles au client. Cela veut dire que le système d’information sous-jacent doit s’adapter en conséquence.

Difficile d’y parvenir lorsque le système d’information connaît des contraintes lors du déploiement de plus de capacité, que ce soit en puissance de calcul, de stockage, pour conserver et analyser les données ou de bande passante réseau pour absorber la charge de connexions sur les sites web ou les services en ligne proposés. Seul le logiciel peut apporter cette agilité. Par conséquent, le logiciel ou les applications doivent être décorrélées ou indépendantes de la couche matérielle qui sert à les faire fonctionner pour atteindre une sorte d’ubiquité et fonctionner quel que soit l’environnement choisi – sur site, dans un Cloud privé ou sur un Cloud public. La mise en place de plates-formes et de nouvelles architectures comme le Serverless le permet aujourd’hui. Dans ce modèle l’utilisateur ne s’occupe pas des ressources matérielles nécessaires au fonctionnement de son application mais accède à un service qui lui propose automatiquement et facture en fonction de l’usage des ressources mises à disposition. Cette architecture recourt le plus souvent à des containers comme éléments de base.

La virtualisation allait déjà dans ce sens, mais elle connaît les limites d’un enfermement propriétaire dans une pile logicielle donnée par un éditeur (Microsoft, VMware). L’agilité passe aussi désormais par une indépendance vis-à-vis des hyperviseurs pour autoriser une véritable agilité et apporter la possibilité de migrer l’environnement logiciel vers l’environnement le plus adapté pour répondre au besoin du métier de l’entreprise. L’environnement adéquat se doit de pouvoir fonctionner comme un véritable système d’exploitation pour le Cloud en autorisant des adaptations rapides et fréquentes.

Aligner l’organisation

Ce dernier point ne peut se résoudre que par des fonctions avancées d’automatisation, que ce soit par des règles ou de l’Intelligence artificielle. Seule l’automatisation est capable d’apporter la nécessaire industrialisation des opérations pour la gestion et le monitoring de telles infrastructures s’appuyant sur le logiciel.

L’échelle et la fréquence des changements font que l’humain connaît alors ses limites. Elle permet de plus de simplifier et de faciliter le travail des administrateurs de tels systèmes non pas pour simplement masquer la complexité sous-jacente mais pour industrialiser réellement le travail de l’informatique. Ce constat se réalise alors que le manque de ressources et de compétences est quasi général : sécurité, Intelligence artificielle, technologie nativement cloud. Il suffit de constater la guerre, quasiment au sens propre, que se livrent les entreprises par attirer les talents : les ingénieurs système pour lesquels les salaires s’envolent. Sous le sceau du secret, certains éditeurs américains nous ont parlé de salaires se montant à 120 000 euros par an pour un de ces si rares ovidés ! Les entreprises auront-elles les moyens d’aligner de tels sommes pour conserver quelques compétences en interne à l’issue de leur voyage qui va leur coûter déjà si cher…

Pendant ce temps, les pouvoirs publics et les investisseurs nous parlent de former des wagons de développeurs ratant encore le réel chemin dont auront besoin les entreprises : ces ingénieurs système si rares et si indispensables.

Seul un effort d’automatisation et de montée en compétence des ressources internes va permettre aux entreprises de finir les voyages en cours et par une organisation plus souple et flexible éloignée des chapelles ou silos de compétences. Et pour paraphraser un ex-président, il est urgent de ne pas attendre. 

Article paru dans L'Informaticien n°168.