Jour crucial pour la protection des données

La cour suprême américaine examine aujourd’hui une affaire qui oppose le géant Microsoft au gouvernement américain. Sa décision aura des répercussions très importantes sur l’ensemble du secteur des technologies et sur l’avenir de la protection des données.

Cette journée du mardi 27 février 2018 marque l’épilogue judiciaire d’une bataille qui dure maintenant depuis cinq années entre le gouvernement américain et la société Microsoft. L’affaire est aujourd’hui devant la plus haute juridiction du pays, à savoir la cour suprême. Les 9 membres vont avoir à se prononcer sur l’obligation faite à Microsoft de transférer aux autorités américaines des mails stockés sur un serveur situé hors des Etats-Unis, en l’espèce à Dublin, Irlande.  La décision des 9 juges est très lourde de conséquences car s’ils donnent raison au gouvernement contre Microsoft, cela impactera toutes les sociétés de technologies et changera profondément la nature des relations entre les gouvernements, les sociétés telles que Microsoft, Facebook, Amazon, Google, … et enfin les consommateurs.

Une manche partout

Revenons sur l’affaire. Tout commence en 2013 lorsque un mandat de perquisition est envoyé à Microsoft lui demandant de remettre à la police américain les contenus d’un compte de messagerie électronique utilisé par un trafiquant de drogue présumé. Microsoft s’y oppose fermement arguant que les données ne sont pas stockées sur le territoire américain mais en Irlande. La bataille judiciaire s’est engagée. En 2014, Microsoft perd la première manche, remet les contenus stockés sur le territoire américain mais refuse toujours de remettre les contenus irlandais et se pourvoit en appel. Cet appel donne son verdict en juillet 2016 et Microsoft obtient gain de cause, la cour d’appel fédérale de New York étant notamment sensible à un argument développé par les avocats de Microsoft, à savoir que s’il est possible aux policiers américains de fouiller dans des serveurs d'une entreprise américaine installés hors des USA, rien n’empêcherait à des policiers étrangers d’exiger des contenus stockés sur le territoire américain.

Microsoft soutenu par toute l'industrie

Au-delà de l’affaire en elle-même, Microsoft en fait une question de principe. « Nous avons toujours déclaré qu’une victoire était importante dans ce dossier afin que la population mondiale reprenne confiance dans les technologies américaines », déclarait encore récemment Brad Smith, président de Microsoft en charge des questions juridiques. Microsoft n’est pas seule dans cette bataille et peut compter sur le soutien de toute l’industrie, y compris ses concurrents comme Google, Apple, eBay, Amazon ou encore les opérateurs de télécoms AT&T ou Verizon.

L’Europe souhaite également peser dans le débat en informant la haute cour de Washington que les données stockées en Europe relevaient de la loi européenne, et devaient donc tenir compte du cadre de protection des données dont l’Europe s’est dotée, en particulier le RGPD qui entrera en vigueur le 25 mai prochain.

Décision difficile

Les deux camps affûtent leurs arguments et chacun a conscience que la décision sera très lourde de conséquences. «La vitesse à laquelle les données peuvent être déplacées dans le monde, le fait que le contrôle soit assuré par des tiers et la possibilité que des données soient conservées dans des lieux qui n'ont aucun rapport ni avec l'infraction ni avec le suspect sous enquête» affaiblit la thèse selon laquelle le lieu de stockage doit servir de juridiction, analyse la juriste Jennifer Daskal, citée par l’AFP. «En même temps, le risque existe qu'une victoire du gouvernement américain serait perçue à travers le monde - légitimement ou pas - comme une affirmation par la police américaine de son droit d'accéder aux données partout, sans prendre en compte les intérêts opposés. Cela créerait un précédent que d'autres nations voudront imiter».