Le tribunal de Grande Instance de Paris a rendu son verdict dans une affaire opposant depuis 2011 Orange à Entr’ouvert, un éditeur de logiciels libres. Ce dernier accusait l’opérateur de contrefaçon quant à son utilisation d’un programme sous licence GNU, mais le juge lui a donné tort, estimant que sa relation avec Orange est « de nature contractuelle » et déclarant son action en justice irrecevable.
La licence d’un logiciel libre relève-t-elle de la propriété intellectuelle ou du régime contractuel ? C’est l’épineuse question à laquelle a répondu le TGI de Paris dans un jugement en date du 21 juin. Pour comprendre la nature de l’affaire, il faut remonter à 2005. A l’époque, l’ADAE, Agence gouvernementale de l’Administration électronique, lance un appel d’offre pour la réalisation du portail en ligne Mon Service Public. Orange emporte une partie de la réalisation, à savoir « la fourniture d’une solution informatique de gestion d’identité et des moyens d’interface, à destination des fournisseurs de service ».
Pour développer sa plate-forme logicielle IDMP (Identity management Platform), Orange a recours à Lasso, une bibliothèque de gestion d’identité libre sous licence GNU GPL v.2. Celle-ci a été conçue par Entr’ouvert, une société française éditrice de solutions de gestion d’identité numérique et d’authentification, dont le fameux Publik.
Du non-respect des termes d’une licence
Quant à Lasso, il « a fait l’objet de modifications en quantité et importance considérables, afin d’assurer sa compatibilité avec l’appel d’offres. L’expert relève qu’il existe des liens de dépendance extrêmement forts entre IDMP et Lasso et que IDMP est totalement dépendant de Lasso » écrit le tribunal. Ce faisant, Entr’ouvert a considéré que « la mise à disposition de la bibliothèque libre Lasso à la DGME par Orange » enfreignait les articles 1 et 2 de la licence. Le 29 avril 2011, l’entreprise assigne l’opérateur devant le TGI de Paris « en contrefaçon de droit d’auteur ».
Entr’ouvert fonde son action sur la responsabilité délictuelle d’Orange, qualifiant l’utilisation et l’encapsulage de Lasso dans IDMP d’atteinte au droit d’auteur, ce qui relève du régime de la contrefaçon. « En l’espèce selon la société Entr’ouvert, les défenderesses qui ne contestent pas avoir utilisé la bibliothèque Lasso, n’établissent pas avoir exploité le logiciel dans les termes de licence » continue le tribunal. La licence exigeait notamment d’Orange qu’il publie le code source de Lasso « dès lors qu’elle en a fait une distribution ».
Un contrat entre l’éditeur et l’utilisateur
Ce à quoi l’opérateur et sa branche Orange Application for Business rétorquent que le litige « se situe dans le cadre d’une responsabilité contractuelle », la licence GNU GPL v.2 étant « un contrat d’adhésion ». Une position rejointe par la juge sur la base de l’alinéa 2 de l’article L122-6-1 du code de la propriété intellectuelle, selon lequel « les modalités particulières d’usage pour permettre l’utilisation du logiciel sont aménagées par contrat entre les parties ».
Or, selon le tribunal, « la société Entr’ouvert poursuit en réalité la réparation d’un dommage généré par l’inexécution par les sociétés défenderesses d’obligations résultant de la licence et non pas la violation d’une obligation extérieure au contrat de licence ». Car relevant du régime contractuel, Entr’ouvet donne à Orange l’autorisation d’utiliser Lasso, tandis que l’opérateur s’engage de respecter les modalités d’usages décrites par la licence.
Ce faisant « seul le fondement de la responsabilité contractuelle est susceptible d’être invoqué par la demanderesse [Entr’ouvert], qui doit donc être déclarée irrecevable en son action en contrefaçon et en ses prétentions accessoires, fondées exclusivement sur la responsabilité délictuelle ». Par ce jugement, le tribunal estime donc que l’utilisation d’un programme sous licence libre relève du droit des contrats, ici l’autorisation concédée par l’éditeur à l’utilisateur, et non pas du droit de la propriété intellectuelle.