L’amendement à la loi sur les violences conjugales adopté par le Sénat mardi vient permettre au CSA de mettre en demeure l’éditeur d’un site porno accessible aux mineurs de mettre en oeuvre toute mesure nécessaire à en empêcher l’accès, sous peine de blocage et de déréférencement. Reste encore à savoir quelles mesures seront vraiment efficaces.
France Connect ou ceinture ! Tel pourrait être le sous-titre de l’amendement déposé par la sénatrice LR Marie Mercier et adopté par le Sénat mardi. Ce texte entend faire mieux respecter sur Internet l’article 227-24 du code pénal, qui proscrit l’exposition de mineurs à des contenus, entre autres, à caractère pornographique. La sénatrice est partie d’un constat simple, exposé dans l’objet de l’amendement et lors de son intervention : “de nombreux sites internet ont renoncé à mettre en place un véritable contrôle de l’âge des personnes qui visionnent ces images. Il suffit d’un clic, par lequel le mineur certifie avoir plus de dix-huit ans, pour que des milliers de vidéos pornographiques lui soient accessibles”.
Si la présence de cet amendement dans une loi relative aux violences conjugales fait débat en ligne, la rapporteure la justifie par l’exposition des “jeunes filles” à des contenus pornographiques “violents”, qui sont devenus selon la sénatrice la “base” de la pornographie, et non plus une exception cantonnée au BDSM. “Les jeunes filles qui vont voir ces images se diront qu'il faut faire pareil, qu'il est normal qu'un jeune homme soit violent avec elles. Or ce n'est pas normal du tout, surtout pour un jeune en construction” a expliqué dans l’Hémicycle Marie Mercier.
CSA tout-puissant
En substance, l’amendement va permettre à nul autre qu’au CSA, qui poursuit décidément sa conquête de la régulation du “online”, “lorsqu’il constate qu’une personne dont l'activité est d'éditer un service de communication au public en ligne permet à des mineurs d’avoir accès à des contenus pornographiques” de mettre en demeure cet éditeur “de prendre toute mesure de nature à empêcher l'accès des mineurs au contenu incriminé”. Pour ce faire, carte bancaire obligatoire, ou France Connect... on le fait pour le jeu d’argent en ligne, pourquoi pas pour le porn. Il revient à l’éditeur de décider et au CSA d’aviser si la mesure est la bonne. Si au bout de 15 jours le mis en cause n’a pas agi, ça va chauffer.
Ce nouvel article de loi accélère en effet le blocage judiciaire des sites pornographiques, puisque le président du CSA pourra saisir le tribunal judiciaire de Paris “aux fins d’ordonner, en la forme des référés”, que soit bloqué l’accès au site incriminé, en passant notamment par les FAI. De même, le CSA pourra reproduire sa saisine si le site réapparaît en passant par une autre adresse et, surtout, “demander au président du tribunal de judiciaire de Paris d’ordonner, en la forme des référés, toute mesure destinée à faire cesser le référencement du service de communication en ligne par un moteur de recherche ou un annuaire”.
Une jurisprudence existante
“Vous me direz que, ces sites étant situés à l'étranger, si l'on en ferme un, deux s'ouvriront dans la foulée. Peut-être, mais ce n'est pas une raison pour ne pas agir !” insiste Marie Mercier. Effectivement, la mise en place de pareille mesure risque de s’avérer complexe, en fonction du décret qui viendra en préciser les modalités. De son côté le gouvernement, par la voix d’Adrien Taquet, a donné son feu vert. Le secrétaire d’Etat explique qu’il s’agissait là d’un engagement d’Emmanuel Macron et que, conjugué à d’autres dispositifs tels que la loi Avia, cet article 11, “inscrit dans le droit « dur » une jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle les simples disclaimers ne suffisent pas pour garantir le non-accès des mineurs à un site”.
Dans les faits, la justice a en effet par le passé condamné à plusieurs reprises des sites pornographiques accessibles aux mineurs. Ainsi, en 1999, la Cour d’appel de Caen s’appuyait sur l’article 227-24 du code pénal pour considérer que, en dépit d’une procédure d’accès “quelque peu longue”, un forum au nom très évocateur de Sex Incest ne “comporte aucune barrière d’accès la rendant totalement inaccessible à des adolescents mineurs férus de multimédia”, d’où condamnation du prévenu pour avoir exposé des mineurs à des messages à caractère pornographique sur Internet”. La jurisprudence applicable estime donc que les deux seuls boutons “J’ai plus de 18 ans” et “J’ai moins de 18 ans” ne constitue clairement pas une barrière suffisante à empêcher l’accès par des mineurs à des contenus à caractère pornographie.
Mieux encore, la Cour d’appel de Paris dans un arrêt en date du 2 avril 2002 estime qu’il “appartient à celui qui décide à des fins commerciales de diffuser des images pornographiques sur le réseau internet dont les particulières facilités d’accès sont connues, de prendre les précautions qui s’imposent pour rendre impossible l’accès des mineurs à ces messages”. De quoi confirmer l’inscription dans la loi ce principe, ainsi que la possibilité par une autorité quelconque de sanctionner les manquements, ou du moins de rappeler à l’ordre les contrevenants.
Demi-mesure ?
Cependant, cette même décision de la Cour d’Appel de Paris vient mettre à mal une des “solutions d’identifications de l’âge” évoquée par la sénatrice LR. En effet, les juges ont estimé dans cet arrêt que “la circonstance que l’accès à un site soit subordonné au paiement d’un droit d’accès, lequel peut être effectué par carte bancaire, ne suffit pas à regarder ce site comme totalement inaccessible aux mineurs”. En d’autres termes, ne reste que France Connect. Ou éventuellement la fourniture d’une copie de la carte d’identité de l’internaute souhaitant accéder à un site pornographique. Quand bien même il s’agit d’un mineur qui utiliserait la carte d’identité, ou l'identifiant France Connect, d’un adulte puisque, dans tous les cas, “l’obligation de précaution s’imposait au diffuseur du message et non au receveur, l’accessibilité aux dites images étant bien le fait de leur commercialisation et non à la carence éventuelle des parents ou de la permissivité ambiante”, dixit la Cour d’appel de Paris.
Un point que le décret devra donc observer, entre autres. Surtout, sa pérennité dépendra du projet de loi sur l’audiovisuel, “remis aux calendes grecques” dixit Mme Mercier. Celui-ci prévoit en effet “la fusion du CSA et de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi) et la création d'une nouvelle instance, l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), dont l'un des champs de compétence sera la lutte contre l'accès des mineurs à la pornographie” rappelle Adrien Taquet. La question du blocage des sites pornographiques risque donc de revenir sur la table d’ici à la fin de l’année prochaine.