Les Sages de la rue Montpensier, saisis par 60 sénateurs, se sont penchés sur le texte de loi luttant contre la haine en ligne. Et l’ont massivement censuré. La mesure phare, à savoir l’obligation pour les plateformes de retirer des contenus haineux en 24h sous peine de sanction, n’a pas réussi l’examen en constitutionnalité.
Bien qu’adoptée à l’Assemblée et au Sénat, la loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet n’était pas au bout de ses peines. Tout juste votée, elle avait fait l’objet d’une saisine du Conseil constitutionnel par soixante sénateurs, reprochant au texte des atteintes à la liberté d’expression. Une accusation formulée à de nombreuses reprises par ses opposants, à droite comme à gauche.
Était notamment pointé du doigt le premier article de la loi Avia. Article qui voit ses paragraphes I et II être censurés par le Conseil constitutionnel. Le premier, relatif à la suppression de certains contenus à caractère terroriste ou pédopornographique, modifiait l'article 6-1 de la loi du 21 juin 2004 en réduisant le délai de réaction des éditeurs de 24h à 1h et en prévoyant ladite sanction. Un délai trop court, aux yeux des Sages, qui ne permet pas à la plateforme d'obtenir une décision du juge avant d'être contraint de le retirer. “Dès lors, le législateur a porté à la liberté d'expression et de communication une atteinte qui n'est pas adaptée, nécessaire et proportionnée au but poursuivi” écrit la plus haute juridiction.
Le paragraphe II, quant à lui, oblige certains opérateurs de plateformes en ligne à retirer ou de rendre inaccessibles dans un délai de 24 heures des contenus illicites en raison de leur caractère haineux ou sexuel. Là encore sous peine de sanctions. Une disposition selon laquelle la définition du caractère illicite d’un contenu “n'est pas subordonnée à l'intervention préalable d'un juge ni soumise à aucune autre condition”, de sorte que l’éditeur soit contraint d’examiner tous les contenus signalés afin de ne pas être sanctionné. Et ce en 24h, en tenant compte des “multiples qualifications pénales justifiant le retrait de ces contenus” déterminées par le législateur (liste non exhaustive), sans véritable clause exonératoire...
Ne restent que des mesures mineures
“En outre, la sanction pénale est encourue pour chaque défaut de retrait et non en considération de leur répétition” ajoute le Conseil constitutionnel. Ces différents facteurs “ne peuvent qu'inciter les opérateurs de plateforme en ligne à retirer les contenus qui leur sont signalés, qu'ils soient ou non manifestement illicites” concluent les Sages. “Elles portent donc une atteinte à l'exercice de la liberté d'expression et de communication qui n'est pas nécessaire, adaptée et proportionnée”.
Dès lors que ces dispositions sont frappées d'anti-constitutionnalité, de nombreux autres articles qui en découlent se voient aussi déclarés contraires à la Constitution. C’est le cas des articles 4, 5, 8, 9 et 18, ainsi que certains paragraphes de l’article 7. Les articles 11 et 12 sont eux aussi censurés, mais pour une toute autre raison : ceux-ci n’avaient, selon le Conseil constitutionnel, rien à faire dans cette loi. Il s’agissait de dispositions relatives à l'appel des décisions rendues à juge unique en matière correctionnelle et aux obligations susceptibles d'être prononcées dans le cadre d'un contrôle judiciaire ou d'un sursis probatoire, introduites dans la loi en première lecture et “sans lien, même indirect, avec celles qui figuraient dans la proposition de loi déposée sur le bureau de l'Assemblée nationale”.
La décision du Conseil constitutionnel a fait jaser sur les réseaux sociaux hier soir. Dans un communiqué, la députée Laetitia Avia a assuré qu'il “ne s’agit pas de renoncer à ce combat pour la protection des internautes” et que la décision des Sages de la rue Montpensier “doit pouvoir constituer une feuille de route pour améliorer un dispositif que nous savions inédit et donc perfectible”. Perfectible, c’est le moins que l’on puisse dire, comme le résume le patron du groupe LR au Sénat, Bruno Retailleau : “il n’y a quasiment que le titre qui est constitutionnel...”.