Nouveau coup de théâtre dans l’affaire TikTok. Interdit aux États-Unis en fin de semaine dernière, l’application bénéficie d’un sursis et pourra continuer à opérer sur le sol américain pour peu que son projet d’accord soit validé par l’administration américaine.
Si l'on devait accorder un prix Nobel de l'art de souffler le chaud et le froid, Donald Trump l'emporterait haut la main. Dernier revirement en date, concernant l'inévitable TikTok, le président des États-Unis s'est dit favorable à l'accord cédant une part du capital de l'application chinoise à des entreprises américaines dont Oracle et Walmart. Ce faisant, l'application bénéficie d'un sursis d'une semaine supplémentaire, le temps que ce projet d'accord soit examiné.
TikTok explique dans un communiqué qu’il a soumis “une proposition qui résout les problèmes de sécurité de l'administration et règle les questions concernant l'avenir de TikTok aux États-Unis”. Son plan se conforme, selon l’entreprise, aux exigences du CFIUS, notamment en travaillant avec Oracle, ”fournisseur de cloud chargé de sécuriser pleinement les données de nos utilisateurs” écrit l’entreprise chinoise. En outre, Oracle et Walmart participeront tous deux à un tour de financement pré-IPO de TikTok dans lequel ils pourront prendre jusqu'à 20% de participation cumulée dans l'entreprise.
Ce rebondissement, qui n'est probablement pas le dernier, fait suite à l'interdiction prononcé vendredi de TikTok et de WeChat sur le sol américain. Le bannissement du premier n'aura pas duré 24h mais encore faut-il qu'un accord satisfaisant toutes les parties en présence soit trouvé. Rappelons que Donald Trump, après avoir soumis le maintien de l'application aux Etats-unis à sa vente à une entreprise américaine, avait vu d'un mauvais oeil la proposition de rachat faite par Microsoft, avant de s'aligner sur la position de l'entreprise de Satya Nadella. Puis il avait préféré l'offre de l'entreprise de son grand ami Larry Ellison, Oracle, mais l'accord passé avec TikTok ne lui convenait finalement pas. D'où l'interdiction prononcée vendredi, suivi du revirement d'aujourd'hui.
Une lecture allisonienne de l'affaire TikTok
On pourrait bien évidemment céder à la facilité et considérer ces coups de théâtre comme le seul fait du Président, dont l'inconstance fait fréquemment les gros titres. Mais on peut également se livrer à un brin de sociologie des organisations. Dans L'essence de la décision, le chercheur américain en sciences politiques Graham T. Allison analyse la crise des missiles de Cuba en 62 sous l'angle de plusieurs modèles. Il en ressort une lecture des évènements basée sur les rapports de force entre les différentes composantes de l'administration Kennedy, de qui préfère un bombardement, favorise l'invasion ou pousse à l'embargo.
Et si, dans le cas de TikTok, les mêmes processus étaient à l'œuvre ? La presse américaine rapporte ainsi que le projet d'accord en vertu duquel Walmart et Oracle prendraient 20% du capital de l'application a été suggéré, ou du moins est plébiscité, par le Département américain du Trésor et son patron, Steve Mnuchin. D'un autre côté, nous avons des parlementaires qui s'opposent à un tel accord, arguant de préoccupations de sécurité nationale. Il faut également composer avec la justice, saisie par TikTok qui dénonce un décret présidentiel politiquement motivé et violant le Premier Amendement.
Tout n'est que rapports de force entre ces différentes composantes : on peut imaginer que les arguments des partisans d'une interdiction ont fait mouche auprès du président en fin de semaine, avant que les soutiens d'un accord n'aient gain de cause ce week-end. Evidemment, nous n'allons pas affirmer que cette lecture est la seule valide, mais elle a le mérite de dépasser l'habituel poncif d'un Trump erratique décidant seul de la politique américaine.