Encore 70 % des entreprises utilisent le Réseau téléphonique commuté, dit « RTC », analogique, dont les premières coupures sont prévues en 2023. Parmi les usages persistants de ce réseau historique, la téléphonie bien entendu, mais aussi des terminaux de paiement, des alarmes d’ascenseurs ou encore des machines à affranchir. Comment se préparer à l’extinction de ce RTC ? Les réponses d’experts du secteur.
Après plus de 50 ans de bons et loyaux services, le réseau téléphonique commuté (RTC) va progressivement disparaitre à compter de 2023. Orange a levé le voile le mois dernier sur ses futures solutions de transition et précisé le calendrier de fermeture des lignes.
Les premières coupures sont ainsi prévues dans cinq ans. « C’est à la fois long et court », estime Stéphane Lelux, président du cabinet de conseil Tactis. « C’est suffisamment long pour que les entreprises puissent faire évoluer leurs services de téléphonie et que les opérateurs télécom proposent des offres alternatives. Mais c’est court pour ce que l’on appelle les “ usages spéciaux ” du réseau RTC, tels que ceux faits par les ascenseurs ou les alarmes de télésurveillance. Ces équipements communiquent encore largement via le réseau RTC et les faire évoluer peut prendre du temps », résume le responsable.
Selon les chiffres d’Orange, si seulement 30 % des utilisateurs grand public utilisent encore une ligne de téléphonie analogique, ce sont 70 % des entreprises y ont toujours recours, pour tout ou partie de leurs services. Selon l’opérateur historique : 42 % des usages du RTC correspondent aujourd’hui à de la téléphonie et du fax, 17 % des terminaux de paiement, 12 % des ascenseurs (appels d’urgence, alarmes), 12 % des solutions de télésurveillance (alarmes) et 7 % des machines à affranchir.
Une technologie bientôt obsolète
Pourquoi fermer un réseau qui fonctionne encore parfaitement ? Orange avance deux raisons. La première est l’obsolescence des équipements réseau. « Nous avons de plus en plus de mal à nous fournir en pièces détachées pour continuer à entretenir ce réseau. D’ici 5 à 10 ans cela deviendra un véritable problème et la qualité de service ne pourra plus être maintenue », explique Thomas Boutreux, directeur marketing du programme All-IP d’Orange Business Services. Deuxième raison : les compétences humaines. « Les techniciens entretenant le réseau RTC partent progressivement à la retraite. Il ne serait pas raisonnable de former toute une nouvelle génération de techniciens sur une technologie qui arrive en fin de vie », poursuit-on chez Orange.
La France n’est pas une exception en la matière. La fermeture du réseau de téléphonie analogique est une tendance mondiale. Dans la plupart des pays d’Europe, une transition vers la téléphonie IP est en cours (Allemagne, Royaume-Uni, Suisse, Espagne, Italie). En Autriche et en Hongrie, le basculement vers le digital est même terminé depuis trois à quatre ans. Aux États-Unis ou au Japon, la fermeture des réseaux analogiques est annoncée pour l’horizon 2020-2025.
Une fermeture étalée sur une décennie
Le calendrier de fermeture du réseau RTC se veut « très progressif ». Tout va commencer le 15 novembre 2018, avec la fin de la commercialisation de nouvelles lignes analogiques. Ensuite, à partir du 4e trimestre 2019, l’opérateur historique ne commercialisera plus de nouveaux accès Numéris (RNIS). À ces dates, la fermeture du réseau analogique n’aura donc pas réellement débuté, seule son extension sera terminée. « Toutes les lignes existantes continueront à fonctionner », précise Orange. Cette première étape va principalement concerner les sociétés qui déménagent ou qui créent un nouveau site. Comme elles ne pourront plus disposer de nouvelles lignes RTC, elles devront opter pour des solutions d’émulation de lignes analogiques ou basculer vers la téléphonie IP (lire ci-après) afin que leurs nouveaux locaux puissent disposer d’un service de téléphonie.
La deuxième étape du calendrier est plus complexe, puisqu’il s’agit cette fois de coupures de lignes. Elle se fera « plaque par plaque » à compter de 2023. Les plaques correspondent, selon la densité de lignes, à une zone géographique allant du département à un arrondissement de ville. Orange n’a pas encore précisé l’ordre de fermeture de ces plaques. Mais le principe sera de commencer par les plaques ayant le moins de lignes RTC. Cela permettra de laisser aux autres zones le temps de migrer naturellement vers l’IP. « Il y a aujourd’hui un peu moins de 10 millions de lignes RTC en France. Ce chiffre devait se réduire naturellement de moitié d’ici à 2023 », souligne Thomas Boutreux.
Dans tous les cas, Orange s’est engagé à prévenir les clients concernés par ces fermetures cinq ans à l’avance. La première plaque sera donc annoncée d’ici à la fin 2018. Ensuite, les coupures devraient s’étaler sur près d’une décennie, en commençant par environ 150 000 fermetures par an. Ce n’est donc pas avant l’horizon 2030 que le réseau RTC français aura totalement cessé de fonctionner.
L’émulation du réseau RTC : une solution de transition
Quelles sont les solutions techniques pour faire face à cette fermeture du réseau RTC ? La première consiste à déployer des équipements émulant le réseau RTC. Les communications analogiques sont ainsi traduites à la volée en communications IP. L’avantage de cette solution est qu’il n’est pas nécessaire de changer de matériel. C’est ce que Orange va proposer avec son offre « La Ligne fixe Business », qui intégrera un boîtier réseau pour connecter les équipements analogiques. Cette « Livebox » simplifiée ne proposera pas d’accès internet, mais des communications bas débit, avec deux ports TEL pour téléphones et usages spéciaux, et un port Ethernet/IP pour commencer à basculer vers les communications IP. De l’autre côté, ce boîtier est connecté à une ligne ADSL ou fibre. Attendue pour octobre, cette solution devrait être commercialisée environ 20 euros par mois, soit à peu près le même tarif que l’abonnement « pro » RTC qui va de 19,50 euros HT à 22,65 euros HT. Les concurrents d’Orange, dont SFR ou Bouygues Telecom, ont annoncé le développement d’offres de transition similaires et des solutions équivalentes sont aussi en préparation pour les accès RNIS.
En profiter pour passer à la VoIP
Autre solution : basculer vers des communications IP. « La fin du réseau RTC est une belle opportunité pour les entreprises de basculer vers l’IP, avec les avantages que l’on connait, comme la convergence fixe/mobile, les outils collaboratifs intégrés ou la traçabilité des échanges, qui prend une nouvelle valeur avec le RGPD », souligne Alexandre Nicaise, PDG de l’opérateur télécom Alphalink. Un point de vue partagé par Orange et aussi par SPIE ICS. « Les clients peuvent commencer à migrer progressivement vers l’IP à l’occasion de la fin du RTC. Et plus précisément les communications externalisées dans le Cloud qui sont aujourd’hui une forte demande de nos clients ETI et grands comptes », souligne Karine Engrand, responsable du développement de l’activité communications unifiées et collaboration.
Pour maintenir un niveau de stabilité et de qualité de services équivalent au RTC, Alphalink recommande que l’infrastructure IP servant aux communications offre une bande passante d’au moins 1 Mbit/s pour assurer correctement une dizaine de communications simultanées, une latence de moins de 50 millisecondes et une gigue de moins de 30 millisecondes. Des services tels que le basculement automatique des communications sur mobile, en cas de problème, ou la mise en place d’une ligne ADSL ou fibre de secours, pour la redondance des communications, sont également des solutions à ne pas négliger, indique le responsable.
L’épineux problème de l’alimentation
Le réseau RTC offre un avantage certain par rapport aux solutions IP : la télé-alimentation. Il suffit en effet de brancher son téléphone sur les fameuses prises « T » pour que ce dernier soit alimenté en électricité. Les solutions IP doivent en revanche se connecter au réseau électrique, sur lequel peuvent survenir des coupures, ce qui n’était quasiment jamais le cas avec le RTC. « Nous allons proposer des solutions pour maintenir les communications téléphoniques en cas de coupure de courant, avec des onduleurs ou des batteries », poursuit-on chez Orange. Même son de cloches chez les autres opérateurs.
Il faudra par exemple compter quelques dizaines d’euros pour une batterie de 2 heures à installer entre une box et la prise électrique, et une centaine d’euros pour une batterie de 12 heures. Dernier bémol de l’abandon du RTC : certains anciens équipements intégrant des modems, comme les machines à affranchir ou des fax, pourraient dysfonctionner en émulation IP. Et ils ne disposent pas toujours de versions IP. Même chose pour quelques très vieux communicateurs d’ascenseur ou d’alarme de télésurveillance. La seule solution serait alors d’évoluer vers de nouveaux équipements IP. Les filières des ascensoristes ou de la télésurveillance travaillent ainsi sur cette évolution vers l’IP, en exploitant notamment les réseaux de téléphonie mobile, selon le principe du M2M. « Le GSM va transitoirement servir de béquille à bon nombre d’équipements qui ne pourront pas passer en IP ou qui risquent d’être instables », indique Stéphane Lelux, chez Tactis. Un avis partagé par la Fédération française des télécoms (FFTelecoms). « Nous travaillons avec les filières concernées par les usages spéciaux du RTC autour de l’émulation du RTC, du basculement en IP sur ligne fixe et aussi du M2M qui peut être une solution intéressante, par exemple pour les terminaux de paiement », indique son directeur général, Michel Combot.
« Mais nous ne préconisons aucune solution technique de manière générale. Chaque cas est particulier. Le meilleur conseil que nous donnons est de commencer par effectuer un inventaire complet des équipements RTC dans l’entreprise, d’identifier ensuite clairement ses besoins, de comparer les prestataires et surtout d’anticiper les délais de fermeture », indique le responsable. « Il faudra sans doute quelques piqûres de rappel aux entreprises, mais globalement le calendrier de fermeture du RTC est raisonnable. Il ne devrait pas y avoir de dysfonctionnements majeurs », conclut-il. ❍