Trois consortiums de pays européens se sont formés pour accueillir les deux calculateurs pre-Exascale qui seront cofinancés par l’Europe. Le processus n’est pas encore initié pour les calculateurs exaflopiques mais la France et l’Allemagne semblent les candidats potentiellement les mieux placés pour réunir les fonds.Trois consortiums de pays européens se sont formés pour accueillir les deux calculateurs pre-Exascale qui seront cofinancés par l’Europe. Le processus n’est pas encore initié pour les calculateurs exaflopiques mais la France et l’Allemagne semblent les candidats potentiellement les mieux placés pour réunir les fonds.En perte de vitesse depuis plusieurs années dans les classements mondiaux, l’Europe a pris conscience de son retard dans un domaine stratégique pour sa recherche et ses industriels. Avec EuroHPC, l’Union Européenne investit enfin dans des infrastructures mais aussi des technologies pour donner à l’Europe une souveraineté numérique.
Il était une époque où la puissance d’un pays se mesurait à son nombre de cuirassés, de hauts fourneaux… mais à l’heure du digital, ce qui permettent de jauger les capacités d’une économie, ce sont les supercalculateurs. Ce n’est pas un hasard si la Chine s’est donnée comme objectif d’être la première nation à faire entrer en production un supercalculateur de classe Exascale, c’est-à-dire passer la barre du milliard de milliards de calculs par seconde. L’empire du Milieu veut atteindre cet objectif dès 2020 sachant que son grand rival américain vise une entrée en service d’Aurora et de Frontier en 2021. Le premier, conçu par Cray Computer et Intel devrait passer la barre de l’exaflops tandis que le second, basé sur des microprocesseurs AMD, pourrait atteindre 1,5 exaflops. De leur côté, les Japonais doivent éteindre leur K computer cet été, ancien fleuron du calcul japonais, à la tête du classement mondial à sa mise en production en 2011 mais qui n’est aujourd’hui plus que 18e. Fujitsu travaille depuis 2018 sur le prototype de post-K, le successeur exaflopique de K, mais celui-ci ne devrait entrer en production qu’en 2021.
La roadmap du processeur européen EPI (European Processeur Initiative) devrait voir une première génération de composants apparaître dans le courant de cette année puis la génération qui équipera le supercalculateur exaflopique “Made in Europe” en 2023… si tout va bien.
L’Europe est partie en retard dans la course à l’Exaflop
Dans ce combat de titans, l’Europe semblait quelque peu en retrait, voire en perte de vitesse avec seulement cinq machines dans le Top 20 mondial. Ce déclin a été acté et l’Union Européenne veut replacer le Vieux Contient dans la course, tant en cofinançant de nouvelles infrastructures qu’en cherchant à reconstruire une « supply chain » européenne des supercalculateurs.
Si Atos (ex-Bull) est l’un des rares industriels européens à pouvoir construire des supercalculateurs, son partenariat étroit avec Intel apparaît aujourd’hui comme une faiblesse pour la souveraineté européenne. C’est bien un embargo de Washington sur les Xeon E5 devant équiper les supercalculateurs chinois qui a poussé Beijing à lancer en 2014 un plan d’investissement de 150 Md$ sur dix ans pour être capable de maîtriser le design et la fabrication de microprocesseurs. Avec son projet EPI (European Processor Initiative), l’Europe a alloué un budget de 120 millions d’euros pour concevoir un microprocesseur et un accélérateur de calcul Made in Europe et ce projet devrait connaître une accélération significative en 2020. Deux pistes technologiques sont suivies, avec une puce basée sur un design ARM et une autre basée sur le design open source RISC-V, avec une fusion de ces architectures attendue au-delà de 2024. En outre, le marché HPC restant une niche, EPI va décliner son processeur pour le secteur automobile, dont les volumes permettront théoriquement de pérenniser l’investissement.
En termes d’infrastructure, le plan élaboré à Bruxelles passe par la construction de plusieurs machines Petascale, de deux supercalculateurs pre-Exascale (quelques centaines de peta-flops) en 2020 et de deux machines Exascale pour 2022/2023. L’Europe finance 50 % de la construction et de l’exploitation de ces machines pour un budget total actuellement de 500 millions d’euros. Si la France et l’Allemagne seront a priori candidates pour accueillir les machines Exascale, des consortiums se sont mis en place dans toute l’Europe afin d’héberger les deux machines pre-Exascale. La date de mise en production des systèmes pre-Exascale visée par l’Europe est le début de l’année 2021 puis 2023 pour les machines Exascale. L’Allemagne, qui dispose déjà de plusieurs supercalculateurs, sera probablement candidate de même que le Genci (Grand équipement national de calcul intensif) devrait être le candidat français pour héberger la seconde machine Exascale européenne. L’enjeu est important pour chaque pays, car ces machines vont représenter un surcroît d’heures de calcul extrêmement important pour les scientifiques du ou des pays qui vont cofinancer le supercalculateur avec l’Europe. Qui aura la machine Made in Europe ? Il est encore bien trop tôt pour le dire. ❍
Le Genci, qui héberge déjà les supercalculateurs du Très Grand Centre de Calcul du CEA, de l’IDRISS/CNRS et du CINES (Centre informatique national de l’enseignement supérieur), est le candidat naturel pour accueillir le premier calculateur exaflopique en France. Reste encore à rassembler les budgets nécessaires à la construction et l’exploitation de la machine car, même si l’Europe prend en charge 50 % du montant, il s’agit d’un investissement de plusieurs centaines de millions d’euros.
« Avec EuroHPC, l’Europe passe la vitesse supérieure »
Laurent Crouzet, Expert auprès des représentants français au Governing Board EuroHPC
« La stratégie EuroHPC est bâtie sur deux piliers avec, d’une part, le volet infrastructures qui prévoit d’acheter des supercalculateurs et, d’autre part, un volet dédié aux développements technologiques et applicatifs. L’idée est de reconquérir une certaine souveraineté technologique pour l’Europe, et regagner des places dans le Top 500 mondial où l’Europe a du mal à tenir son rang, notamment depuis l’arrivée massive de la Chine dans ce classement. C’est la première fois que l’Europe elle-même va réaliser l’acquisition de machines et cette politique va lui permettre de se replacer dans la course mondiale à la puissance de calcul avec des machines pre-Exascale qui seront installées dans des sites dont la sélection est en cours et qui seront annoncés en juin. EuroHPC va également cofinancer avec des pays européens une série de calculateurs de plus petite taille. Enfin, à l’horizon 2022/2023, EuroHPC achètera deux supercalculateurs Exascale dont au moins un sera bâti à partir de technologies européennes. La France ambitionne de se porter candidate pour héberger un de ces calculateurs. »
« L’Exascale n’est pas uniquement une course au “ flops ”, à la puissance »
Arnaud Bertrand, directeur de la stratégie et de l’innovation de la division Big Data & Cybersécurité chez Atos
« L’un des défis posés par l’Exascale consiste à contenir l’augmentation de la consommation électrique dans une enveloppe modérée – de l’ordre de 2 à 5 MW – tout en fournissant des performances applicatives 10 à 100 fois supérieures à ce que l’on connaît aujourd’hui. Dès lors, le défi ne consiste pas à développer une machine exaflopique, mais une machine plus efficace ; or cette efficacité est répartie entre puissance de calcul, dispatch des jobs sur les bons composants, amélioration de la consommation électrique au niveau du calculateur dans son ensemble et pas uniquement au niveau de chaque composant. Les fabricants de composants avancent bien, tant au niveau des CPU de nouvelle génération que des GPU, mais aussi sur le stockage ou sur la mémoire. Mais ces technologies prises individuellement ne seront pas suffisantes pour réussir à mettre en œuvre un système Exascale dans le temps visé par l’Europe. »