Le réseau c'est l'entreprise

Il y a 25 ans, John Gage lançait cette phrase qui deviendra la devise de Sun Microsystems pour des années : « Le réseau est l’ordinateur. » Le monde d’aujourd’hui a dépassé et de loin cette affirmation initiale.

D’un simple réseau, bien peu pratique dans ses premiers jours avec une bande passante faible et une vitesse d’escargot pour échanger les fichiers et autres paquets, on est maintenant dans une réalité hyperconnectée par des terminaux mobiles aussi puissants que nos ordinateurs d’antan. Qui aujourd’hui imaginerait une entreprise sans Internet ? Il suffit de voir les visages défaits dès que le réseau tombe pour une raison ou pour une autre. D’ailleurs, bien peu d’entreprises seraient capables de restaurer, même pour quelques jours, le bon vieux travail sur papier comme nous le connaissions quand John Gage a lancé cette idée. C’est cependant ce qu’a fait le FSB (services secrets russes) après les révélations de Snowden en revenant pour les échanges les plus importants à la machine à écrire et les échanges par courrier !

La phrase de John Gage résonne encore plus fort maintenant avec l’irrésistible montée en puissance des environnements cloud. Car même les plus réticents d’hier comme les banques ou les financiers se lancent gaillardement vers des Clouds publics.

Saluons ce revirement qui nous fait dire qu’il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. Mais le Cloud sans un réseau suffisamment et largement provisionné ne serait qu’une contrainte voire une limite pour les entreprises. Les années ASP nous l’ont appris lorsque les applications étaient bien prêtes mais ne pouvaient bénéficier de cette infrastructure nécessaire pour fonctionner au mieux.

La dépendance au réseau devient évidente lorsque l’on constate l’utilisation des applications en SaaS. Plus de 85 % des entreprises du Fortune 500 utilisent les services Microsoft Cloud, et chaque mois, plus de 500 000 petites entreprises viennent s’ajouter à Office 365. Les applications mobiles d’Office ont été téléchargées plus de 340 millions de fois. Autres chiffres : 4 000 milliards d’e-mails envoyés avec Office 365, 1 milliard de réunions créées par mois et 3 milliards de minutes d’appels Skype par jour. Microsoft revendique plus de 135 millions d’utilisateurs actifs par mois en entreprise. Les utilisateurs seraient bien en peine de réaliser leur travail sans la connexion nécessaire pour accéder à l’application. De même vos vendeurs ne serviraient pas à grand chose sans le support d’un éditeur comme Salesforce.com ou SAP. Nous ne les citons que pour l’exemple et pour montrer que désormais sans le réseau de nombreux salariés ne peuvent effectuer leurs tâches. Cette dépendance a pour premier signe une augmentation du stress des salariés confrontés à des traitements en urgence de tâches sans priorisation ni hiérarchie : Une perte de sens de leur travail.

En dehors de l’entreprise le phénomène est encore pire avec une dépendance aux différentes applications de réseaux sociaux ou à l’Internet. La pathologie est réellement reconnue aujourd’hui. Avouez que ne plus faire votre soirée de photos de vacances sur votre mur vous manquerait !

Un pilier fragile

Malgré son importance, Internet reste fragile. Les attaques de déni de services contre DynDNS ont rendu des sites comme Spotify et Twitter indisponibles pendant plusieurs heures. D’ailleurs, certains « spécialistes» ont déjà prédit la fin ou le crash de l’Internet. Ainsi à l’image des Mayas et de leur astrologie qui prévoyait la fin du monde pour 2016, un très sérieux universitaire britannique a prévu le crash pour 2023. Le réseau s’écroulerait sous le poids des données circulant, du fait de l’importance prise par les flux envoyés depuis les éléments de l’Internet des objets. Bon, tout comme la fin du monde prévue par les Mayas, celle d’Internet a été remise à plus tard… Plutôt vers 2053, à cause du manque d’électricité pour approvisionner les routeurs et autres éléments indispensables au réseau dans les centres de données. Là encore, la date avancée est sujette à caution et repose plus sur de la spéculation que des chiffres réels vérifiables.

Nous ne reviendrons pas sur les différents arrêts de service chez les hébergeurs ou fournisseurs de services internet lors des dernières années et les heures d’indisponibilité subies. Plus récemment encore, Visa et Mastercard ont été touchés par des arrêts de leurs services empêchant les clients de régler leurs achats dans les magasins. Dans le cas de Mastercard, une mise à jour intempestive et mal réalisée a eu des conséquences néfastes.

Jusqu’à présent, tous les scénarios évoqués ont eu une réponse. Pour l’Internet des objets et le manque d’adresses IP, nous sommes passés d’IPv4 à IPv6, redonnant de l’air au réseau. De la même manière, il faudra compter sur la recherche pour palier les futures possibles faiblesses de l’Internet. Cela ne sera pas simple si, comme c’est souhaitable, nous désirons un Internet comme celui d’aujourd’hui : libre, neutre et fiable. Dans le cas contraire, la neutralité du Net va voler en éclats devant la rareté de la ressource et seuls les plus riches pourront alors se l’offrir. Les autres se contenteront de ce que nous avons connu lors des débuts d’Internet : des échanges lents avec des coupures et une qualité de service que l’on pouvait qualifier de « défaillante ».

De nouveau, Internet deviendra dans les entreprises une contrainte et non plus un accélérateur de productivité. Ce n’est pas parce qu’aujourd’hui tout fonctionne bien que l’on doit s’imaginer que c’est acquis pour toujours. Et de toutes façons, on pourra toujours connecter la roue dans la cage du hamster ou de la souris blanche pour se fournir en électricité. Tout ça pour regarder les nouvelles sur son téléphone ou faire une partie de Candy Crush dans les transports. Allez, invoquons les mânes de Pangloss et disons-nous que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes !

Article publié dans L'Informaticien n°170.