Des artisans de la Silicon Valley mettent en garde contre l’intoxication numérique

Ils sont plusieurs ingénieurs et créateurs, dans la Silicon Valley, à se méfier d’un système qu’ils ont eux-mêmes contribué à rendre addictif, en multipliant les restrictions vis-à-vis des réseaux sociaux. 

Depuis quelques années, la notion de « digital detox » est devenue tendance, conséquence d’un trop plein de contenus numériques. Phénomène nouveau : cela touche désormais ceux qui sont au cœur des créations qui nous entourent tous les jours. Le principal exemple en est Justin Rosenstein. Terminé Reddit, Snapchat est banni de son smartphone et il s’est même imposé lui-même des règles pour éviter d’installer des applications sur son iPhone. A 34 ans, le créateur du célèbre « J’aime » de Facebook craint désormais ce qu’on appelle dans la Silicon Valley « l’économie de l’attention ». 

2 617 interactions par jour

Avec le peu de recul que nous possédons sur les « nouvelles technologies sociales », il est difficile de se rendre compte de leur impact réel sur les sociétés, voire le monde tout entier. Mais des théories se distinguent, des adages également. « L’attention partielle continuelle » en fait partie. C’est le fait de ne jamais se concentrer à 100%, une partie de l’attention de chacun étant rivée sur autre chose, les réseaux sociaux notamment. 

Ses conséquences sont difficilement explicables elles aussi, tant nous manquons là encore de recul. Certains n’hésitent pas à avancer que cela tend à faire baisser le quotient intellectuel des individus. Et les études commencent à poindre. D’un côté on en trouve qui affirment que la seule présence d’un smartphone réduit les capacités cognitives. Plus prosaïquement, une autre étude montre qu’en moyenne un utilisateur touche son smartphone, tapote l’écran ou le déverrouille 2 617 fois par jour. « Tout le monde est distrait. Tout le temps », juge Justin Rosenstein (photo ci-dessous) via The Guardian.  

N’allez pas croire que le créateur du « Like » est esseulé. C’est un phénomène qui semble toucher les trentenaires, dont bon nombre ont contribué à l’essor voire à la création des réseaux sociaux actuels. Car on le sait très bien : la plupart de ces inventions sont destinées à faire revenir les utilisateurs, à susciter un désir, une attente, un besoin (de reconnaissance ou autre) dans certains cas. On parle de FOMO (« fear of missing out », ou la peur de rater quelque chose) dans le milieu médical qui constate que cela peut virer à l’obsession. « Je pense qu’il est important d’en parler car nous sommes peut-être la dernière génération qui pourra se rappeler de la vie d’avant ». Avant quoi ? Avant « l’hyper-internetisation » bien entendu, veut évoquer Justin Rosenstein. 

Questions de liberté(s)

Mais peut-on pour autant leur reprocher ces créations ? Tout a été créé de manière à inciter les gens à accéder aux réseaux sociaux ne serait-ce que quelques secondes. C’est ce qu’explique Nir Eyal, auteur qui enseigne justement sur la manière de rendre un produit numérique addictif. Ce qu’on appelle le « persuasive design ». Pourtant, « au même titre que nous ne blâmons pas un pâtissier qui confectionne de bons produits, nous ne pouvons pas blâmer ces inventeurs pour avoir créé de si bons outils que nous voulions les utiliser », souligne-t-il.  

Cela nous amène à une question cruciale, qui est celle de l’avenir et de l’impact de ces effets. « Une poignée de personnes, travaillant dans une poignée d’entreprises technologiques vont, à travers leurs choix, orienter ce qu'un milliard de personnes pensent aujourd'hui », assène Tristan Harris (photo ci-dessus), un ex-employé de Google lors d’une récente conférence TED à Vancouver. Il évoque la mutation de la démocratie en tant que telle, mais aussi celle des relations humaines. « Tous nos esprits peuvent être détournés. Nos choix ne sont pas aussi libres que ce nous pensons ». Pessimiste, certes, mais réaliste ?