Le LiFi au lycée

Dans l’éternel débat sur l’impact sanitaire des ondes, la 5G a aujourd’hui quelque peu remplacé le WiFi, bête noire des opposants qui alertent vis-à-vis de l’électrosensibilité. Le terreau reste néanmoins fertile au développement du LiFi, qui sort désormais des musées et des bureaux pour venir équiper le lycée Bernard-Palissy de Gien, en région Centre-Val de Loire.

Voilà maintenant un petit moment que nous n’avons pas parlé LiFi. Cette technologie de connexion internet par les ondes lumineuses faisait pourtant les gros titres, à la fin 2018, lorsque Lucibel, l’un des spécialistes français en la matière, signait un contrat avec l’Armée de terre. Le LiFi n’est peut-être pas l’innovation « disruptrice » que certains attendaient, mais il continue de creuser sa niche. Benjamin Azoulay, le CEO d’Oledcomm, l’autre champion français du LiFi, nous confie ainsi que depuis la sortie de son produit LiFi Max, son entreprise a œuvré sur quelque trois cents projets, principalement des bureaux d’entreprise. Et une salle de classe ! En partenariat avec SPIE ICS et la Région Centre-Val de Loire, Oledcomm a équipé une salle de classe du lycée BernardPalissy, à Gien (45).

Les 18 coques fournies par Oledcomm sont munies d’un émetteur/récepteur et d’une batterie garantissant huit heures d’autonomie supplémentaires pour chaque tablette.

Dix-huit tablettes connectées

« C’est la région Centre et SPIE ICS qui nous ont contacté pour équiper une première classe dans un lycée de la ruralité », nous explique Benjamin Azoulay, « L’idée était de permettre aux élèves équipés d’une tablette Android de pouvoir se connecter dans la salle de classe pour par exemple suivre un cours de Sciences numériques et technologie.» Ainsi, en septembre, les 70 m2 de cette classe ont été intégralement équipés en LiFi, à l’aide de 9 points d’accès LiFi Max, couvrant chacun environ 10 m2, avec une limite de huit terminaux connectés simultanément par cône et 30 Mbps par point d’accès. Les élèves se connectent à Internet par le biais de 18 coques pour tablette munies d’un émetteur-récepteur LiFi et d’une batterie. «Mine de rien, c’est compliqué de connecter une classe de trente élèves en même temps, à cause des limitations du WiFi et des risques d’accès aux données », précise le patron d’Oledcomm, qui souligne que le LiFi, en revanche, est idéal lorsqu’il y a une grande densité de connexions dans un espace réduit, par exemple une salle de classe.

« Nous avons deux marchés, qui consistent à équiper tous les lycées de la région centre en WiFi et en équipements réseaux », nous explique Sébastien Lascombe, ingénieur d’affaires, en charge du bureau de SPIE ICS dans la région Centre. C’est au fil des discussions avec la direction régionale de l’Éducation, de la Jeunesse et des Sports, qui gère l’environnement IT des lycées de la région, que naît l’idée d’équiper un établissement en LiFi. Il s’agissait alors d’être en cohérence avec le schéma directeur Green IT que la Région veut construire, avec les enjeux de santé publique liés aux ondes, et d’aller dans le sens d’un autre schéma, relatif à la mobilité et promouvant le BYOD auprès des lycéens. « Le Covid a accéléré le besoin de transformation numérique des écoles et les problématiques liées aux ondes, à la 5G, ont créé un marché pour les modes de connexion alternatifs », renchérit Benjamin Azoulay.

Enjeux de sécurité, de santé et d’écologie

Après une première tentative infructueuse avec un autre constructeur, SPIE s’adresse à Oledcomm. « Nous étions vraiment dans une logique de partenariat avec Oledcomm sur cette notion de PoC», indique Sébastien Lascombe. « Oledcomm est un acteur français, qui assure une partie de sa production en région Centre. Et Benjamin Azoulay s’est particulièrement impliqué dans le projet». Autre force du constructeur, son recours à l’infrarouge plutôt qu’à la lumière visible. Ce qui évite d’avoir à laisser la lumière (visible) allumée, un effet psychologique à ne pas sous-estimer. Contacté en fin d’année dernière, Oledcomm se met au travail et doit faire face à plusieurs challenges techniques dus aux enjeux d’interférence et de couverture : équiper une salle de 70 m2 , que les professeurs peuvent configurer selon les besoins pédagogiques. Autre problématique, une fois chaque point d’accès mis derrière un point filaire, pousser la politique de sécurité (NAC, portail captif, etc.) et de contrôle des accès. « Le souci qu’on a avec un point d’accès LiFi est la multitude d’adresses Mac derrière un port RJ. Il est nécessaire de porter tout ce qui existe en termes de contrôle d’accès – la Région utilisé ClearPass d’Aruba – sur le LiFi. Là, nous sommes sur un schéma d’antan du WiFi, avec un contrôleur», explique Sébastien Lascombe. « L’enjeu est de faire en sorte que les usages pédagogiques ne soient pas perturbés, et nous avons des réunions avec Oledcomm pour que ce soit intégré.»

Dans sa communication, la Région souligne que l’un des avantages du LiFi est son coût, ajoutant que cette technologie pourrait, à terme, permettre de « mutualiser les coûts d’installation et d’exploitation de l’éclairage et de la transmission des données informatiques en diminuant dans les espaces de réception intérieurs le nombre de relais WiFi nécessaires ». L’un des principaux freins à l’adoption du LiFi était justement son tarif élevé. Benjamin Azoulay nous rétorque que la situation a bien changé depuis deux ans, avec des efforts de miniaturisation et de réduction des coûts. « Équiper une salle de classe revient entre 2000 et 3000 euros maximum, c’est une alternative moins onéreuse qu’une salle informatique dédiée entièrement câblée. Reste cette histoire de dongle qu’on miniaturise et dont on cherche encore à réduire les coûts, pour aller vers une intégration dans les terminaux. Nous comptons faire des annonces l’année prochaine sur le terrain de la miniaturisation», poursuit le CEO d’Oledcomm. D’autant que Oppo, le constructeur chinois de smartphones, a déposé plusieurs brevets allant dans le sens de l’intégration de récepteurs LiFi dans ses terminaux mobiles.

Avec SPIE ICS sur la partie filaire et Oledcomm sur les points d’accès, neuf cônes lumineux assurent la connexion des terminaux dans la salle de classe de 70 m².

Le LiFi dans l’espace

Sur le terrain de l’écologie aussi, la Région loue les vertus du LiFi, mettant en avant sa faible consommation énergétique. Benjamin Azoulay abonde dans ce sens : « Le LiFi, par sa nature même, représente une alternative Green. On utilise des leds très peu consommatrices et la connectivité est très maîtrisée. Le WiFi dans un lycée donne lieu à beaucoup de trafics liés à des activités non-pédagogiques, qui vont saturer les réseaux et les serveurs. Le LiFi, par le fait que la connexion est limitée dans l’espace, va maîtriser le trafic : la connectivité est plus focalisée sur les besoins pédagogiques de l’établissement», assure-t-il. Et pour une connectivité bien plus performante ! Sébastien Lascombe explique avoir été surpris car « le LiFi offre, quand on est sous le cône, une stabilité autre que le WiFi», un avis partagé par le corps enseignant du lycée Bernard-Palissy. D’autant que, avec le débat sur la 5G, la question de l’impact des ondes sur la santé est plus prégnante qu’auparavant, et le WiFi fait débat. « Pour les déploiements WiFi, nous avons dû faire un courrier avec des engagements de bonnes pratiques. Dont le respect des normes européennes quant à la puissance en sortie des antennes, pas de bornes dans les classes, etc. Malgré lycées de la région nous a informé qu’un de leurs élèves était « mal à l’aise» dans certaines zones du lycée, ce qui soulève des interrogations sur l’électro-sensibilité et des inquiétudes quant au WiFi », souligne le responsable d’affaires de SPIE ICS, remarquant par ailleurs que les lycéens se sont montrés particulièrement intéressés par le LiFi.

S’ajoute à ces questions l’enjeu de la protection des données des lycéens, un vrai sujet pour l’Éducation nationale. Or, le LiFi ne traversant pas les murs, le signal n’est pas piratable à l’extérieur des salles de classe. La sécurité est justement l’un des atouts de cette technologie, et la principale raison de la demande des entreprises et organisations intéressées. Sur les projets déployés ces derniers mois, Benjamin Azoulay nous explique que ses clients sont des entreprises, des ambassades, des gouvernements, des cabinets d’avocats, qui se penchent sur le LiFi pour des questions de sécurité d’accès sans fil. « Il y a un fort intérêt des industries de la Défense sur ces projets », ajoute-t-il. Oledcomm a ainsi été contacté par le Cnes et ArianeGroup pour développer un PoC pour la future fusée Ariane.

Vers l’échelle industrielle

Mais restons sur Terre, où la Région Centre-Val de Loire ne s’arrête pas au seul lycée de Gien. Au lycée Grandmont de Tours, le CDI (Centre de documentation et d’information) a lui aussi été équipé en LiFi. L’usage y est différent de la salle de classe de Bernard-Palissy : deux zones vont être connectées en LiFI, la connexion étant assurée au moyen de dongles classiques destinés à des PC plutôt que des tablettes. Les lycéens et enseignants du lycée Grandmont devraient pouvoir en profiter dès leur retour des vacances de la Toussaint, tandis que la Région entend déployer le LiFi sur un autre lycée en début d’année prochaine.

Du côté d’Oledcomm, on a retiré de ce PoC une amélioration du produit LiFi Max. « En regardant la configuration de la salle de classe, nous avons commencé le développement d’une antenne/répéteur photonique qui se place sur chaque access point [permettant de réduire le nombre de points d’accès nécessaires à la couverture de l’intégralité de la salle, NDLR], ce qui rendra la solution plus abordable pour un déploiement de masse. Nous travaillons aussi à la miniaturisation des dongles », indique Benjamin Azoulay, qui annoncera un produit dédié, le LiFi Max Education, début 2021.

Du côté de SPIE ICS, l’intégrateur constate des premiers retours positifs ainsi qu’un vœu de la Région d’aller vers une industrialisation. Mais encore faudra-t-il que la technologie soit ratifiée et moins onéreuse. « On en est encore au début», reconnaît Sébastien Lascombe. Benjamin Azoulay partage ce point de vue et rappelle que « le LiFi a commencé à se développer sur le terrain de la sécurité, lentement car le marché est embryonnaire quoique en accélération ». À ses yeux, le point d’inflexion sera en 2023 ou 2024. Chez SPIE ICS en tout cas, le PoC a fait des émules au sein du groupe : « C’est la première fois que nous travaillons avec Oledcomm et nous étudions désormais un partenariat à l’échelle du groupe ». Ce qui pourrait sérieusement aider le LiFi à atteindre ce point d’inflexion et à se populariser aussi bien sur le bâti que sur les chantiers et les projets.